La retraite progressive : êtes-vous prêt à l’utiliser… ou à la laisser filer comme 80 % des dirigeants ?

En tant que dirigeant, vous êtes rompu à la prise de décision. Vous savez anticiper, planifier, piloter. Pourtant, il existe un dispositif qui reste dans l’angle mort de beaucoup de chefs d’entreprise : la retraite progressive.
Ce mécanisme, créé en 1988, permet de réduire votre activité tout en percevant une partie de votre pension, le temps de préparer sereinement la suite, qu’il s’agisse d’une cession, d’une transmission, ou simplement d’un changement de rythme. Et malgré cet intérêt stratégique évident, près de 80 % des dirigeants éligibles passent encore à côté.
Voyons ensemble pourquoi (et surtout comment) vous pourriez en tirer parti dès aujourd’hui.
Sommaire :
La retraite progressive : un dispositif simple et flexible
Fonctionnement de la retraite progressive
Le principe de la retraite progressive est le suivant :
- Vous réduisez votre temps de travail ;
- Vous percevez une fraction de votre pension, proportionnelle à cette réduction ;
- Et vous continuez à cotiser, ce qui augmente vos droits pour la retraite définitive.
Autrement dit, vous gagnez du temps et de la souplesse, sans sacrifier vos revenus ni vos droits.
Pour en bénéficier, vous devez :
- Avoir au moins 60 ans (l’âge d’accès au dispositif a été abaissé en septembre 2025) ;
- Justifier de 150 trimestres validés tous régimes confondus.
Ensuite, les conditions dépendent de votre statut :
- Si vous êtes dirigeant salarié, vous devez exercer une ou plusieurs activités à temps partiel entre 40 et 80 % de la durée légale ou conventionnelle du travail ;
- Si vous êtes artisan ou commerçant, vous devez exercer à titre exclusif une activité artisanale ou commerciale
- Si vous êtes un professionnel libéral, vous devez exercer une activité qui vous procure un revenu annuel supérieur à 40 % du PASS, et conserver entre 40 et 80 % de vos revenus antérieurs.
C’est un dispositif qui s’adapte à votre situation, que vous soyez gérant de SARL, président de SAS, entrepreneur individuel ou profession libérale.
Retraite progressive : un dispositif encore méconnu, malgré sa récente montée en puissance
Malgré son intérêt évident, la retraite progressive reste largement sous-utilisée.
Au 31 décembre 2024, seuls 31 368 Français en bénéficiaient, soit à peine 0,2 % de l’ensemble des retraités. Pourtant, la dynamique est réelle : 17 700 retraites progressives ont été attribuées en 2024, un record depuis la création du dispositif en 1988.

Ce décalage entre potentiel et usage s’explique simplement : le dispositif reste méconnu dans le monde entrepreneurial. Beaucoup de dirigeants pensent qu’il ne s’applique qu’aux salariés. D’autres craignent la complexité administrative. Et certains ignorent tout simplement qu’ils remplissent déjà toutes les conditions pour en bénéficier.
(Source : Assurance retraite)
Pourquoi de nombreux dirigeants passent à côté de la retraite progressive ?
Si la retraite progressive est aujourd’hui accessible à la majorité des dirigeants, peu d’entre eux en profitent réellement. Ce paradoxe s’explique par un ensemble de freins à la fois culturels, informationnels et administratifs.
Une méconnaissance encore massive du dispositif
La première raison est tout simplement le manque d’information. Selon une étude réalisée par la DREES et reprise par le Conseil d’orientation des retraites (COR), seuls un tiers des nouveaux retraités connaissent réellement le dispositif de retraite progressive. Près de 40 % n’en ont jamais entendu parler, et près de 30 % en ont entendu parler sans savoir de quoi il s’agit.
Autrement dit, la majorité des actifs en fin de carrière (dirigeants compris) ignorent qu’ils peuvent réduire leur activité tout en commençant à toucher une partie de leur pension.
Les cadres et professions intermédiaires sont certes un peu mieux informés que les autres, mais même dans ces catégories, la retraite progressive reste un angle mort de la stratégie de fin de carrière.
Un choix souvent éclipsé par d’autres options
Toujours selon le COR, la retraite progressive est désormais considérée comme une forme de départ anticipé partiel, beaucoup d’assurés préfèrent utiliser les dispositifs qu’ils jugent plus simples ou plus « définitifs », comme la retraite anticipée pour carrière longue.
Autrement dit, ceux qui peuvent partir totalement le font, et ceux qui ne peuvent pas encore préfèrent attendre plutôt que de se lancer dans une solution intermédiaire qu’ils perçoivent comme complexe ou peu avantageuse.
Des idées reçues tenaces
La retraite progressive traîne derrière elle son lot d’idées reçues, encore bien ancrées :
- La retraite progressive, c’est trop compliqué: en réalité, le dispositif est simple à mettre en œuvre avec un bon accompagnement ;
- La retraite progressive est réservée aux salariés: c’est faux, elle est ouverte à tout le monde, indépendants compris (artisans, commerçants, industriels, professionnels libéraux…)
- Cela va me mettre en retrait de mon entreprise: pas du tout, vous restez pleinement aux commandes, mais avec un rythme mieux ajusté
Les avantages concrets de la retraite progressive, et comment la mettre en œuvre efficacement
Entrer en retraite progressive n’est pas qu’une décision administrative : c’est un choix stratégique qui peut transformer votre fin de carrière, tant sur le plan personnel que professionnel.
Une transition maîtrisée et une réduction de charges
Réduire votre activité ne signifie pas perdre le contrôle : c’est au contraire une transition en douceur, qui vous permet d’alléger votre emploi du temps tout en continuant à diriger. Le tout en percevant une partie de votre pension de retraite.
Cette baisse d’activité entraîne la diminution mécanique de vos charges sociales.
C’est aussi un moyen d’organiser la montée en puissance de vos équipes ou de votre successeur, tout en gardant un rôle de supervision. Vous restez au centre des décisions stratégiques, mais avec un rythme et une charge ajustés.
Réévaluer sa stratégie de rémunération
Entrer en retraite progressive est souvent l’occasion de faire le point sur sa rémunération et sa protection sociale.
En réduisant votre activité, vous pouvez ajuster la part de vos revenus entre rémunération professionnelle et autres sources (dividendes, épargne retraite, etc.), pour maintenir un équilibre adapté à votre nouveau rythme.
Accompagné par votre expert-comptable ou votre conseiller patrimonial, vous pouvez transformer cette étape en levier d’optimisation globale de votre rémunération et de votre patrimoine.
Retrouver un équilibre conjugal
Après des années d’investissement total, lever le pied devient souvent une nécessité. La retraite progressive vous permet de reprendre le contrôle de votre temps, sans tourner la page trop vite.
C’est aussi une occasion précieuse de réaligner votre rythme de vie sur celui de votre conjoint(e), déjà retraité(e) ou proche de le devenir. Cet équilibre retrouvé dans le couple et dans la vie personnelle favorise une transition plus sereine, tant sur le plan émotionnel que familial.
Vous préparez ainsi votre retraite non comme une rupture, mais comme une évolution naturelle de votre vie de dirigeant.
Capitaliser avant la cession
La retraite progressive vous permet aussi de capitaliser vos dernières années d’activité : en continuant à cotiser, vous améliorez encore vos droits à la retraite tout en valorisant votre patrimoine professionnel avant la cession de votre entreprise.
EXEMPLE
Prenons l’exemple de Patrick, 61 ans, dirigeant d’une PME de 15 salariés dans le secteur du bâtiment. Après 35 ans d’activité, Patrick envisage de transmettre son entreprise à son chef de chantier, tout en voulant préserver ses revenus et préparer sa retraite dans de bonnes conditions.
Plutôt que de céder immédiatement, il choisit d’entrer en retraite progressive :
- Il réduit son activité à 50 %, en gardant la direction stratégique et la relation avec les clients clés ;
- Il perçoit la moitié de sa pension, tout en continuant à cotiser sur la base de son revenu d’activité ;
- Il accompagne son successeur pendant deux ans, le temps de finaliser la transmission.
Résultat : Patrick travaille deux fois moins, mais maintient un bon niveau de revenus, augmente sa future pension, et lisse sa fiscalité avant la cession. Il sort progressivement du quotidien de l’entreprise, tout en restant un acteur clé de la transmission.
Au moment de la cession, il dispose d’une situation patrimoniale et personnelle optimisée, et d’un revenu stable pour aborder sa retraite définitive.
Limites et points de vigilance
Si la retraite progressive est un levier puissant, elle suppose quelques précautions avant de se lancer :
- Surveillez vos revenus pour valider vos trimestres. Pendant la retraite progressive, vos revenus diminuent, et cela peut impacter la validation de vos trimestres.
Pour valider un trimestre de retraite de base, vous devez percevoir au moins 150 fois le SMIC horaire brut, soit 1 782 € en 2025 par trimestre (soit 7 128 € en 2025 par an pour quatre trimestres). Cette règle s’applique aussi aux travailleurs indépendants : artisans, commerçants ou professions libérales doivent eux aussi atteindre ce seuil annuel.
Si vos revenus sont inférieurs, vous risquez de ne pas valider quatre trimestres complets sur l’année - Attention à l’impact sur le calcul de votre pension. Votre pension de retraite de base est calculée sur la moyenne de vos 25 meilleures années. Si certaines années de retraite progressive à temps partiel se glissent dans ce calcul, elles peuvent faire baisser la moyenne et donc réduire le montant final de votre pension
- Une baisse de revenus à anticiper. L’un des principaux écueils de la retraite progressive reste financier : la part de pension versée ne compense pas toujours totalement la perte liée à la réduction d’activité induite par la retraite progressive
En résumé, la retraite progressive reste un formidable levier de pilotage de fin de carrière, à condition d’en connaître les subtilités. Bien préparée, elle vous permet d’aborder la transmission ou la cession de votre entreprise avec plus de sérénité. Mal anticipée, elle peut toutefois entraîner quelques soucis financiers ou administratifs.
Un accompagnement professionnel personnalisé reste donc la clé pour transformer cette transition en véritable opportunité stratégique.