Casse-tête Retraite | Épisode 2 - Rachat de trimestres : est-ce vraiment rentable ?

Vous n’avez pas tous vos trimestres pour partir à la retraite à taux plein et ça vous inquiète ? Vous ne voulez pas avoir une décote ni travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier du taux plein automatique ?
Rassurez-vous, il existe des solutions pour combler ces trous dans votre carrière. Parmi elles, le rachat de trimestres. Il s’agit d’un dispositif qui permet, sous certaines conditions, de racheter les périodes non cotisées sur votre carrière, et par là même, d’améliorer le montant de votre future pension.
Pour parler de ce sujet, on reçoit Angélique Perroux, présidente du groupe Uminii (Factorielles, QualiRetraite, Carnet de Retraite) qui accompagne au quotidien les professionnels et les particuliers à naviguer dans les sujets de la protection sociale.
Qu’est-ce qu’un rachat de trimestre ?
Le rachat de trimestres est un dispositif stratégique qui permet de corriger sa carrière, notamment les années où l’on n’a pas suffisamment cotisé. L’objectif est de le faire à bon escient : il faut d’abord savoir combien de trimestres il nous manquera à l’âge légal, puis racheter uniquement le nombre nécessaire. Pas plus, car cela représente un investissement.
L’idée est d’identifier le dispositif le plus pertinent : celui qui sera le moins coûteux et le plus rentable, car il existe une vraie notion de rentabilité derrière le rachat de trimestres.
Pourquoi en vient-on à racheter des trimestres ? Que se passe-t-il si, à la retraite, il en manque ?
À l’âge de la retraite, un certain nombre de trimestres est exigé pour obtenir une pension à taux plein. C’est un peu le graal recherché par tous. Mais le terme de « taux plein » est un peu trompeur : dans le régime salarié, le taux plein correspond en fait à un taux de service de 50 %. Concrètement, on calcule la moyenne de ses 25 meilleures années de salaire et si tous les trimestres exigés pour sa génération sont validés, la pension sera de 50 % de cette moyenne.
Le nombre de trimestres requis dépend de plusieurs facteurs, dont l’année de naissance. L’objectif reste d’atteindre le nombre de trimestres exigé pour sa génération, pour obtenir un taux de pension maximal, à 50%.
Certaines personnes n’auront qu’un, deux ou trois trimestres manquants ; d’autres beaucoup plus. Pour éviter la décote, qui réduit le montant de la pension, on pense alors au rachat. Il faut avoir en tête que chaque année manquante (soit quatre trimestres) entraîne une minoration de 5 % sur la pension de retraite, appliquée définitivement.
C’est un peu comme un malus en assurance, sauf qu’ici, il n’y a aucun rattrapage possible une fois la retraite liquidée et mise en paiement.
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Peut-on racheter des trimestres librement ? Ou existe-t-il des conditions ?
Le rachat de trimestres doit être causé et fondé. On rachète des périodes passées, et il faut que ce rachat soit fondé sur un motif précis. Il faut donc trouver dans sa carrière des zones sur lesquelles on est autorisés à faire un rachat de trimestres. On est éligible lorsque :
- On a effectué des études supérieures : on peut racheter les années préparant un diplôme obtenu ;
- On a réalisé des stages ou apprentissages, à des coûts souvent réduits ;
- On a connu des années incomplètes, c’est-à-dire des années où l’on a travaillé, mais pas assez pour valider quatre trimestres. Par exemple, si vous avez validé deux trimestres par vos cotisations, vous pouvez racheter les deux manquants.
En revanche, si vous avez commencé à travailler tard et qu’aucune période antérieure (études, stage, apprentissage) n’est éligible, vous ne pourrez pas racheter de trimestres.
Peut-on racheter autant de trimestres qu’on veut ?
Non. Le dispositif dit « rachat Fillon » (ou versement pour la retraite) autorise le rachat de 12 trimestres maximum sur une carrière, qu’il s’agisse d’années d’études supérieures ou d’années incomplètes.
Pour les années incomplètes : si on a travaillé neuf mois sur une année, peut-on racheter les trois mois manquants ?
Ce n'est pas exactement comme ça que ça marche. Pour valider un trimestre, ce qui compte, ce n’est pas le temps de travail, mais le revenu cotisé. Quelqu’un peut très bien travailler trois mois et valider quatre trimestres s’il a gagné suffisamment sur cette période. Il n’existe donc aucun lien entre durée travaillée et nombre de trimestres validés.
En 2025, il faut avoir perçu 7 128 € de salaire brut dans l’année pour valider quatre trimestres.
Peut-on « charbonner » sur un mois et cotiser pour l’année entière ?
Non. On ne peut pas cotiser plus que le plafond mensuel de la Sécurité sociale, soit 3 925 €. Même en gagnant 10 000 € sur un mois, on ne validera que deux trimestres maximum. Il faut donc au moins deux mois d’activité pour obtenir quatre trimestres. En revanche, les revenus qui dépassent le plafond seront bien pris en compte pour le calcul de vos 25 meilleures années.
Comment fonctionne le rachat de trimestres pour les indépendants ?
Les indépendants (artisans, commerçants, professions libérales) peuvent eux aussi racheter des trimestres pour années incomplètes. Qu’ils soient entrepreneurs individuels, micro-entrepreneurs, ou qu’ils se tirent une rémunération de leur entreprise, ils peuvent racheter des trimestres sur des années où les résultats de l’entreprise étaient insuffisants pour valider 4 trimestres.
Un dispositif particulier s’applique d’ailleurs aux artisans-commerçants : s’ils corrigent la situation dans les six ans suivant l’incident, ils peuvent bénéficier d’un rachat à coût réduit, très avantageux.
D’autres astuces à connaître ?
Avant de se tourner vers un rachat de trimestres, il est très important de s’assurer que tous les trimestres pour lesquels on a cotisé sont bien renseignés sur son relevé de carrière. Parce que malheureusement, il peut y avoir des erreurs ou des omissions de périodes. Des périodes mal renseignées qui conduisent à avoir moins de trimestres que ce à quoi on devrait avoir droit. Il faut aussi s’assurer que sa situation familiale et sa situation de santé (qui peuvent là aussi permettre de valider des trimestres, au titre de mécanismes de solidarité) soient bien reflétées sur le relevé de carrière.
Il serait tout de même dommage de racheter des trimestres qu’on vous doit déjà ! Sachant que le rachat de trimestres est une démarche volontariste : une fois la dépense faite, il n’est pas possible d’être remboursé, même si la démarche a été faite à tort.
Il faut donc reconstituer sa carrière, s’assurer que toutes les périodes y figurent, et faire corriger les anomalies avant toute démarche de rachat.
Comment s’y prendre pour reconstituer sa carrière ?
La première étape, c’est de télécharger son relevé de carrière sur info-retraite.fr ou sur le site des caisses où l’on a cotisé.
Mieux vaut le faire le plus tôt possible et vérifier régulièrement que chaque période de sa vie professionnelle et personnelle y figure (chômage, maladie, congé parental, expatriation…). Il faut s’interroger sur toute période d’interruption et sur les mécanismes de solidarité compensateurs qui peuvent être créateurs de droits sur ces périodes.
Combien coûte un rachat de trimestre ?
Il faut déjà s’assurer de la typologie du rachat de trimestre auquel on est éligible. Au cours de sa carrière, on peut être passé par plusieurs caisses, et chaque caisse a ses propres dispositifs de rachat de trimestres. Il faut s’enquérir des dispositifs auxquels on est éligibles dans les différents régimes dans lesquels on a pu cotiser, parce que ces dispositifs peuvent avoir des coûts différents.
Si on parle de l’Assurance retraite, qui est le régime compétent pour les salariés, les artisans et les commerçants, le coût d’un rachat de trimestres va dépendre de plusieurs facteurs :
- L’âge au moment du rachat (plus on est jeune, moins c’est cher) ;
- Les revenus des trois dernières années (plus ils sont élevés, plus le rachat coûte cher) ;
- L’option choisie :
- Rachat pour améliorer le taux de service de la pension,
- Rachat pour améliorer le taux ET le montant de la pension de retraite (option plus chère mais potentiellement plus rentable, grâce au deuxième effet bonificateur sur le calcul de la pension).
Le montant à débourser pour racheter un trimestre est compris entre 470 € et 6 700 €.
La bonne nouvelle, c’est que ce montant est déductible fiscalement. Il faut donc tenir compte de cet avantage pour calculer la rentabilité.
EXEMPLE
Si vous avez un revenu professionnel à 20 000 euros et que vous déboursez 1000 euros pour un rachat de trimestres, votre revenu professionnel imposable ne sera plus que de 19 000 euros.
Existe-t-il une période idéale pour racheter des trimestres ?
La meilleure rentabilité va se trouver sur un rachat qu’on ne fait pas trop tardivement, que l’on fait après une période de revenus faible (puisque le calcul du prix du rachat se base sur les revenus des 3 dernières années) et idéalement sur une année fiscale où on s’attend à avoir une fiscalité plus forte, avec un revenu potentiellement plus fort. Ça c’est le calcul stratégique ultime, mais on ne choisit pas toujours la dynamique de sa carrière !
En tant que chef d’entreprise, on peut organiser son revenu et avoir une stratégie de rémunération qui tend à correspondre à cet idéal. En revanche, en tant que salarié, on n’a pas forcément la capacité à créer le momentum idéal. C’est pour cette raison qu’il est important de connaître ce dispositif de rachat de trimestres et étudier cette possibilité régulièrement, pour s’assurer de la saisir au bon moment !
Au sujet de ce momentum stratégique, il faut aussi avoir en tête que certains rachats de trimestres ont des « dates de péremption », avec des fenêtres de tir qui se referment. C’est par exemple le cas pour les artisans-commerçants qui n’ont qu’un délai de 6 ans après l’incident pour bénéficier d’un rachat de trimestre à faible coût.
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Le coût d’un rachat de trimestres peut représenter un investissement important, mais à partir du moment où on rachète plusieurs trimestres, il est possible de lisser la charge dans le temps. Les caisses donnent en effet la possibilité de payer en plusieurs mensualités. Il faut simplement avoir payé l’intégralité de la somme avant son départ en retraite.
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Quels sont les autres aspects stratégiques à prendre en compte ?
Il faut bien choisir le régime dans lequel racheter. Certaines personnes rachètent des trimestres dans le régime salarié alors qu’un rachat dans le régime libéral aurait été moins cher. Or, si l’écart de prix peut sembler faible sur un trimestre, il devient considérable sur dix… Si on a cotisé plus longtemps dans un régime libéral, on aura donc peut-être moins d’effets à racheter dans un régime salarié.
Mais il n’existe pas de vérité absolue en la matière. Chaque carrière est unique : il n’existe pas de règle universelle, tout dépend du parcours professionnel et personnel.
Un exemple concret ?
Je peux vous parler d’un chef d’entreprise que nous avons accompagné au cours d’un bilan retraite. Il pensait ne pas pouvoir vendre son entreprise et partir en retraite avant son âge légal de 62 ans, avec une décote de 3 trimestres. Il pensait que le rachat de trimestres n’était pas pour lui, parce que sa caisse de retraite lui avait annoncé un rachat de l’ordre de 20 000 euros, pour un rachat « années d’études incomplètes », sur le milieu de sa carrière. Son entreprise n’était pas forcément en bonne forme financière, et lui-même n’ayant pas un patrimoine important, il n’était pas en mesure de réaliser cet investissement.
Après étude de son dossier, nous avons pu identifier que quelques années auparavant, l’entreprise avait connu une période difficile, où le résultat de l’entreprise ne permettait pas de valoriser 4 trimestres, mais seulement 3, et ce, de façon continue sur les dernières années.
Nous avons donc pu l’éclairer sur son éligibilité au rachat de trimestres dédié aux indépendants artisans-commerçants, qui permet de corriger les choses dans les 6 ans. On a pu remonter sur les dernières années et lui faire valider des rachats de trimestres spécifiques pour un coût de 900 euros par trimestre, soit 5 fois moins que le coût qu’il avait estimé.
Grâce à ce rachat de trimestres, il est devenu éligible au dispositif de départ anticipé pour carrière longue, puisque ces trimestres – spécifiquement sur ce type de rachat de trimestres – sont des trimestres « cotisés » une fois qu’ils sont corrigés.
Il a pu réaliser cet investissement rapidement et prendre sa retraite non seulement 2 ans avant ce qu’il avait anticipé, à taux plein, et en ayant le luxe d’avoir son flux de revenus à la retraite, en plus du flux de revenus professionnels, et de travailler à la transmission de l’entreprise, avec une moindre pression financière.
À NOTER
Les autres typologies de rachat de trimestres ne permettent pas de bénéficier de cette nature de trimestres « cotisés », qui peuvent être déclencheurs d’une carrière longue et donc d’un départ anticipé.
Le rachat de trimestres, c’est toujours un bon plan ?
Non, pas forcément. Parfois, l’investissement ne vaut pas le coup, car c’est un investissement important, même avec la déduction d’impôts. Donc il faut bien mesurer : combien ça me coûte, combien ça me rapporte et mon horizon de rentabilité. C’est-à-dire combien d’années, une fois mon rachat de trimestre effectué, il faudra pour que ça absorbe l’investissement mis au démarrage. Si l’horizon de rentabilité est supérieur à 10 ou 15 ans, on a plutôt tendance à déconseiller le rachat de trimestres.
Parfois, il vaut mieux assumer de partir avec une décote et trouver d’autres facteurs d’amélioration de sa retraite. Cela peut être de constituer une épargne personnelle à côté ou de prévoir un cumul emploi-retraite qui permettra de compléter les revenus malgré la décote.
Quelles sont les démarches à effectuer pour racheter un trimestre ?
Il faut contacter la caisse de retraite concernée, qui établira un devis. Ce devis a une durée de validité limitée et doit être accepté rapidement.
Par contre, il faut savoir que les délais sont longs : l’obtention du devis peut parfois prendre un an : mieux vaut donc faire sa demande de rachat de trimestre au moins un an avant la retraite. On peut racheter des trimestres à tout âge, dès lors que la période est éligible. À mon sens, il ne faut pas faire de rachat de trimestre trop jeune, mais il ne faut pas non plus attendre la dernière minute, au risque de ne pas pouvoir avoir ce devis dans les temps et de ne pouvoir s’acquitter du rachat de trimestre avant la liquidation de sa retraite et la mise en paiement de ses droits.