Vers une assurance-chômage pour les artistes-auteurs ? Une proposition de réforme structurelle déposée au Sénat

Une proposition de loi, déposée par la sénatrice écologiste Monique de Marco, ambitionne d’intégrer les artistes-auteurs au régime de l’assurance-chômage.
Artistes-auteurs : une protection sociale lacunaire
Le 31 octobre 2024, la sénatrice Monique de Marco (Les Écologistes, Gironde) relançait le débat sur la précarité structurelle des créateurs qui ne relèvent pas du régime des intermittents du spectacle (soit des milliers d’écrivains, traducteurs, scénaristes, compositeurs, plasticiens, photographes, ou encore critiques d’art) en proposant une loi relative à la continuité des revenus des artistes auteurs, qui vient d'être déposée au Sénat.
Malgré leur rôle central dans la vie culturelle du pays, les artistes-auteurs n’ont, en effet, toujours pas accès à une protection sociale suffisante. Affiliés au régime général de la Sécurité sociale, ils cotisent pour la retraite et l’Assurance Maladie, mais restent exclus d’une quelconque couverture en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle, et n’ont pas droit aux congés payés ou chômage.
Or, les fréquentes périodes creuses entre deux projets ou commandes plongent une majorité d’entre eux dans une grande précarité financière. Selon l’Observatoire des revenus des artistes-auteurs, 75 % des artistes-auteurs gagnent en effet moins de 10 000 euros par an, et les aides et minima sociaux actuels ne compensent pas l’irrégularité de leurs ressources.
Un revenu de remplacement calqué sur le modèle de l’intermittence
La proposition de loi entend instaurer un revenu de remplacement entre deux phases de diffusion ou de production, en s’inspirant du modèle d’indemnisation des intermittents du spectacle. Le dispositif serait encadré par l’Unédic et géré par France Travail.
Pour y accéder, l’artiste devrait déclarer une « date anniversaire » et justifier, sur les 12 derniers mois, de revenus équivalents à 300 heures rémunérées au SMIC. Le texte ouvrirait également la voie à une logique pluriannuelle (par exemple, 600 heures sur 24 mois ou 900 heures sur 36 mois) pour s’adapter aux cycles souvent longs de la création artistique. L’allocation ne pourrait être inférieure à 85 % du SMIC, assurant ainsi un filet de sécurité minimal. Un plafond serait également mis en place, à l’image des limites prévues pour les intermittents (fixé à 118 % du plafond mensuel de la Sécurité sociale).
Diffuseurs et CSG : un financement redéfini
Ce modèle d’assurance-chômage des artistes-auteurs reposerait sur deux leviers :
- Une contribution des diffuseurs, c’est-à-dire des structures qui exploitent ou diffusent les œuvres (éditeurs, galeries, producteurs). Cette contribution serait à hauteur de 4,05 % des revenus bruts versés, s’alignant donc sur le taux des cotisations chômage du régime général ;
- Une part de la contribution sociale généralisée (CSG), qui est déjà prélevée sur les revenus des artistes-auteurs.
Actuellement, les diffuseurs ne contribuent qu’à hauteur de 1,1 % (1 % pour la Sécurité sociale et 0,1 % pour la formation professionnelle), une part jugée insuffisante pour garantir la continuité des revenus. Par ailleurs, ce rééquilibrage a également pour but de responsabiliser davantage les acteurs économiques de la culture.
Vers une réforme structurelle de la politique culturelle
Cette proposition de loi intervient dans un contexte international marqué par une réflexion sur le statut des artistes-auteurs : en novembre 2023, le Parlement européen adoptait par exemple une résolution pour accorder aux artistes un socle commun de droits sociaux, y compris l’accès au chômage, à la retraite et à la négociation collective. En outre, la montée en puissance de l’intelligence artificielle générative accentue la pression économique sur les métiers culturels, avec des projections de baisse de revenus allant jusqu’à 24 % dans la musique et 21 % dans l’audiovisuel.
Plus qu’un simple filet de sécurité, cette loi serait donc une reconnaissance institutionnelle du statut d’artiste-auteur, ainsi que de son rôle économique dans le pays. En apportant une béquille étatique pour les périodes d’inactivité des artistes-auteurs, elle permettrait de sécuriser leurs parcours professionnels et de libérer du temps pour la création.
Lors de son débat au Sénat, le texte pourrait évoluer, notamment sur les modalités d’accès et la temporalité des droits. Mais il pose déjà, symboliquement, les jalons d’une réforme de fond, attendue depuis des décennies.