Vers un « télétravail prescrit » : nouvel outil politique pour freiner les arrêts maladie ?
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, les députés ont adopté en commission une mesure qui pourrait transformer la relation entre travail et santé.
Deux amendements votés fin octobre ouvrent en effet la possibilité, pour un médecin, de prescrire du télétravail en alternative à un arrêt maladie complet, lorsque « l’état du patient le permet ». L’objectif ? Enrayer la progression continue des arrêts de travail, pour réaliser des économies sur les comptes de la Sécurité sociale.
Une prescription encadrée et conditionnelle
Adopté en commission des Affaires sociales, le dispositif prévoit que le médecin puisse prescrire la poursuite ou la reprise d’une activité professionnelle en télétravail, à condition que le poste s’y prête et que le patient y consente. Il ne s’agirait pas d’imposer un travail à distance à toute personne malade, mais de permettre, dans des situations précises, une activité adaptée à l’état de santé. Les critères médicaux, la durée maximale de ce type de prescription et les conditions d’application en entreprise seront précisés par décret.
Selon les députés, cette mesure s’inscrirait dans une logique de prévention de la désinsertion professionnelle : éviter les ruptures prolongées avec l’emploi, maintenir un lien social et professionnel pendant la convalescence, et faciliter les reprises progressives, notamment après un arrêt long - une logique de « reprise adaptée » déjà en vigueur pour d’autres pathologies chroniques. Les auteurs de l’amendement Stéphane Viry (groupe Liot) et Nicolas Turquois (Modem), évoquent notamment les pathologies musculosquelettiques ou anxiodépressives, pour lesquelles une reprise en douceur peut s’avérer bénéfique.
Une pratique déjà répandue, mais sans cadre légal
En réalité, de nombreux salariés pratiquent déjà un télétravail « de fait » lorsqu’ils sont légèrement malades, sans cadre médical ou reconnaissance officielle particulière. Une enquête de 2023 de l’Observatoire du télétravail révélait en effet que 31 % des répondants étaient au moins une fois restés en télétravail en étant malade, « pour éviter une perte de salaire », ou parce que leur charge de travail est trop importante.
Jusqu’ici, seule la médecine du travail pouvait recommander ce type d’adaptation de poste. L’ouverture de cette faculté au médecin traitant constituerait donc la formalisation d’une pratique existante, qui était jusqu’ici juridiquement fragile.
Un contexte de rationalisation des dépenses médicales
Mais derrière la dimension médicale, cette réforme s’inscrit dans une séquence plus large de « rationalisation médicale » des dépenses de Sécurité sociale. Les mesures se succèdent : encadrement des arrêts de travail, contrôle renforcé des médecins « les plus prescripteurs d’arrêts », limitation des téléconsultations pour le renouvellement d’arrêts… L’ensemble dessine une volonté claire de maîtrise des dépenses, mais aussi une redéfinition du rôle du médecin, sommé d’arbitrer entre le thérapeutique et la contrainte budgétaire de l’Etat.
Qu’est-ce que le repos thérapeutique, dans un contexte de travail ?
De plus, peut-on parler de « repos thérapeutique » lorsque le salarié, malade, continue de travailler depuis son domicile ? Le risque semble réel de voir la frontière entre convalescence et travail se brouiller, dans un contexte où la santé mentale et les risques psychosociaux progressent déjà fortement. Le télétravail, vanté pour sa flexibilité, pourrait ainsi devenir un instrument de rationalisation économique plus qu’un outil de soin.
D’autant que la jurisprudence récente de la Cour de cassation, sur le droit au report des congés pendant un arrêt maladie, semble envoyer un tout autre message : le salarié malade doit avant tout pouvoir se reposer. D’un côté donc, le droit du travail reconnaît le besoin de récupération ; et de l’autre, la loi ouvre la possibilité de « travailler un peu » malgré la maladie.
Et maintenant ?
Avant d’entrer en vigueur, la mesure devra encore être examinée en séance publique à l’Assemblée nationale, puis intégrée dans le texte final du PLFSS. Le Conseil d’État aura ensuite à préciser, par décret, ses modalités concrètes d’application. D’ici là, le débat reste ouvert : le télétravail médicalement prescrit sera-t-il un progrès social adapté à la réalité du travail moderne, ou le nouveau symptôme d’une médecine de plus en plus comptable ? Affaire à suivre…