« Ubérisation »/protection sociale des livreurs à vélo : la Cour de cassation siffle-t-elle la fin de la récréation ?

Les « travailleurs » connaissent des fortunes diverses selon leur caste juridique, il s’agit d’une notion protéiforme qui va de l’indigent au nanti : il y a le stagiaire, l’alternant, l’indépendant par contrainte, le travailleur en contrat à durée déterminée, …. et le privilégié au regard du droit social : le salarié en contrat à durée indéterminée.
Avec l’uberisation, certains exclus du salariat ont pensé qu’ils allaient devenir de véritables « chefs d’entreprise » mais, en réalité, beaucoup sont devenus des travailleurs pauvres en dehors du droit social normalement existant.
Nonobstant un petit geste du législateur en leur faveur, la Cour de cassation a remis les pendules à l’heure. Cette décision, qui a vocation à être diffusée, pourrait être lourde de conséquences.
Previssima : Sur les plateformes de mise en relation, où en est-on en matière de droit du travail ?
Nicolas Auclair. – C’est la loi El Khomri du 8 aout 2016 qui a pris en compte cette nouvelle classe laborieuse en créant, dans le Code du travail, un titre quatrième intitulé « Travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique ».
L’article L 7341-1 du même Code expose à propos de ce titre qu’il « est applicable aux travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique ».
La loi met ainsi à la charge des entreprises de plateforme une responsabilité sociale. Sont visés ici les accidents du travail et la formation professionnelle (1). Cette souscription d’assurance pour les accidents du travail sera en partie seulement prise en charge par la plateforme. Cette précarité sociale semble retenir l’attention du législateur puisque le projet de loi d’orientation sur les mobilités a pour objet notamment d’offrir des droits sociaux supplémentaires à ses indépendants (mutuelles, prévoyance, retraites, …).
Le 28 novembre dernier, la Cour de cassation s'est prononcée sur les travailleurs des plateformes. Que faut-il retenir de cet arrêt ?
Nonobstant tous ses efforts du législateur, sa vision au regard du droit du travail reste sans doute un peu myope et brouillée. Dans son arrêt du 28 novembre, la Cour de cassation a décidé de lui rappeler que faute de disposition particulière excluant le salariat, elle reste maître de la qualification du contrat même en présence d’une entreprise gérant une plateforme numérique et mettant en relation des restaurateurs, des clients commandant des repas et des livreurs à vélo.
Le salarié est celui qui réalise un travail sous un lien de subordination ; c’est-à-dire qu’il exécute son travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (2).
La Cour de cassation va voir dans les faits de l’espèce qui lui sont soumis un contrat de travail et prononcer une cassation. Le système de géolocalisation de la plateforme qui permet le suivi en temps réel du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus et le fait que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier permettaient selon elle de caractériser un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation du livreur. Il y avait contrairement à ce qu’avaient retenu les juges du fond un lien de subordination.
Quels sont les effets de la requalification en contrat de travail ?
Dans sa décision du 28 novembre 2018, il s’agissait d’une société en procédure collective, les effets de la requalification seront donc limités. S’agissant d’une société en bonne santé, une telle requalification aura des effets drastiques.
L’employeur devra rétablir les droits du salarié pour la période non-couverte par la prescription et donc lui fournir ses bulletins de paye, accomplir les formalités légales, verser les cotisations éludées, comme celles de retraite par exemple, verser les congés payés éludés, payer des heures supplémentaires.
L’employeur devra payer la prévoyance et la maintenir éventuellement en cas de licenciement. Il pourra être condamné à une indemnité pour travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire.
Enfin, il pourra également être condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il a interrompu les demandes de prestation auprès du chauffeur ou du cycliste.
En d’autres termes, le modèle économique de ces plateformes risque d’être remis en cause ; le « sous-travailleur » devrait alors lui aussi disparaître avec elles ?
Les anglais avaient déjà tiré les premiers en caractérisant des obligations caractéristiques mettant en évidence un contrat de travail à propos de UBER et ses chauffeurs (3). L’avenir nous dira s’ils ont été un bon exemple.
(1) Selon M. Jean-Michel OLIVIER (la requalification du contrat de travail interview DALLOZ 16 mars 2017)
(2) 13 novembre 1996, Bull. 1996, V, n°386, pourvoi n°94-13.187)
(3) Le Monde 28 octobre 2016
(Cass. Soc. 28 novembre 2018, n°1737, pourvoi n°17-20.079)