Salariat dissimulé : recourir à un auto-entrepreneur peut exposer l’employeur à de lourdes sanctions, si un lien de subordination est établi

Le statut d’auto-entrepreneur séduit nombre d’entreprises, qui y voient une manière simple et flexible de collaborer avec des travailleurs indépendants. Mais la frontière entre indépendance véritable de l’auto-entrepreneur et salariat dissimulé est parfois floue.
Car lorsqu’une relation contractuelle présentée comme une mission d’indépendant révèle en réalité un lien de subordination, les juges peuvent requalifier cette relation en contrat de travail. La requalification entraîne alors un risque sérieux : celui d’une condamnation pour travail dissimulé.
C’est ce que rappelle une décision rendue par la Cour de cassation le 3 septembre 2025 : un employeur ne peut échapper à une condamnation pour travail dissimulé en évoquant la « maladresse » d’avoir conclu un contrat inadapté. Le seul fait de recourir sciemment à un statut d’indépendant alors que la relation est de nature salariée, suffit à caractériser l’infraction.
Le contexte : quand l’auto-entrepreneur devient salarié aux yeux du juge
L’affaire en question opposait une entreprise à l’un de ses collaborateurs. Les parties avaient signé une convention de mandat, supposée encadrer une relation d’indépendance entre l’auto-entrepreneur et l’entreprise. Après plusieurs mois de collaboration, l’intéressé a décidé de mettre fin à son contrat, estimant qu’il n’était pas un prestataire autonome mais bien un salarié. Il a alors saisi la justice pour obtenir la requalification de sa convention en contrat de travail et, en conséquence, diverses indemnités, dont celles découlant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les juges lui ont donné raison, et ont également condamné l’entreprise à verser une indemnité pour travail dissimulé. Contestant cette décision, l’entreprise a fait valoir l’argument suivant : le travail dissimulé suppose une intention frauduleuse, intention qui, selon elle, ne pouvait résulter du seul recours à un contrat « inapproprié ».
La Cour de cassation a rejeté cet argument.
Travail dissimulé : une infraction à deux dimensions
L’infraction de travail dissimulé, définie par l’article L. 8221-5 du Code du travail, suppose deux éléments.
Tout d’abord, un élément matériel : l’absence de formalités liées à l’emploi salarié. Il peut s’agir du défaut de déclaration préalable à l’embauche, de l’absence de bulletins de paie, ou encore du non-respect des obligations déclaratives auprès de l’Urssaf ou autre administration fiscale.
Elle suppose ensuite un élément intentionnel : l’idée que l’employeur s’est volontairement soustrait à ses obligations. C’est sur ce point que se cristallisent les débats, certains employeurs estimant qu’une « erreur » de qualification contractuelle ne peut suffire à établir l’intention frauduleuse.
Face à cet argument, la Cour de cassation adopte une position ferme : lorsque l’entreprise fait délibérément appel à un travailleur sous statut d’auto-entrepreneur, alors que la relation est en réalité salariée, il y a bel et bien intention de se soustraire aux obligations légales. Autrement dit, choisir de placer un salarié sous un statut d’indépendant revient à nier volontairement sa qualité réelle de salarié et à contourner les obligations sociales et fiscales attachées à ce statut.
Le cœur du problème : le lien de subordination
La distinction entre salarié et indépendant repose sur un critère important : l’existence d’un lien de subordination juridique. Ce lien est caractérisé lorsqu’un travailleur exécute une prestation sous l’autorité de l’employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres, de contrôler l’exécution et de sanctionner d’éventuels manquements.
Un auto-entrepreneur qui agit dans un cadre d’autonomie véritable ne peut être considéré comme salarié. En revanche, si ses conditions de travail révèlent une dépendance étroite à l’égard de l’entreprise, la présomption de non-salariat tombe, et la relation est requalifiée en contrat de travail. Dans l’affaire en question, les magistrats avaient considéré que la situation correspondait à une relation de subordination, ce qui suffit à transformer la convention en contrat de travail et à déclencher, par ricochet, le mécanisme du travail dissimulé.
Une mise en garde pour les entreprises
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante, mais rappelle que la ligne de défense fondée sur la « bonne foi » contractuelle a peu de chance de prospérer.
Pour les employeurs, le message est clair : collaborer avec des auto-entrepreneurs peut constituer un mode d’organisation efficace, à condition que la relation respecte l’indépendance réelle du prestataire. À défaut, le risque n’est pas seulement celui d’une requalification du contrat en contrat de travail (et des indemnités qui en découlent) mais aussi celui de sanctions pour travail dissimulé, dont les conséquences financières sont bien plus lourdes.