« Sur la question de l’assiette sociale retenue pour les dividendes, le tribunal judicaire nous a donné raison » – Pierre-Yves Lagarde

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« Sur la question de l’assiette sociale retenue pour les dividendes, le tribunal judicaire nous a donné raison » – Pierre-Yves Lagarde

S’ils ont opté pour le barème progressif de l'impôt sur le revenu, les dirigeants de SARL bénéficient d’un abattement de 40 % sur leur assiette fiscale, mais qu’en est-il pour les cotisations sociales ? Cette question relève de l’article L 131-6 du Code de la Sécurité sociale qui définit les modalités de prise en compte des cotisations sur les revenus d'activité des travailleurs non-salariés non agricoles, mais les interprétations de ce texte divergent.

Le 12 mai 2020, un jugement de première instance émit par le tribunal judiciaire de Melun pourrait bien avoir définitivement tranché la question.

Retour sur l’affaire avec Pierre-Yves Lagarde, associé chez IMANI Family Office, spécialiste du conseil aux dirigeants.

Previssima - Comment est déterminée l’assiette des cotisations sociales pour les indépendants ?

Pierre-Yves Lagarde - Depuis le 1er janvier 2013, les dirigeants de SARL sont soumis à cotisations sociales quand la part distribuée aux associés (personnes physiques) excède 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant d'associé. En outre, cette disposition existait dès 2009 pour les SELARL.

En revanche, elle ne s’applique pas pour les SAS. Ce qui signifie, qu’en optant pour la SAS, le dirigeant supporte sur ses distributions, du premier au dernier euro, une taxation globale stable de 30 %, avant que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) ne se déclenche.

Ce n’est pas le cas pour le gérant majoritaire lorsque ses dividendes sont assujettis à charges sociales. Sa taxation globale variera selon la tranche du barème social qui « accueillera » la distribution. Cette différence de traitement a de fortes conséquences.

Tableau : comparaison de 3 volumétries de rémunération du gérant (30 000 €/an, 100 000 €/an et 200 000 €/an).

La distribution est assujettie à charge dans la 1ère tranche du barème social SSI* (moins de 1 PASS), et l’imposition progressive est au taux de 14 %

La distribution est assujettie à charge dans la tranche 2 du barème social SSI (entre 1 et 5 PASS), et l’imposition progressive est au taux de 30 %

La distribution est assujettie à charge dans la tranche marginale du barème social SSI, et l’imposition progressive est au taux de 45%

Taxation des dividendes (social + fiscal)

56 %

35 %

26 %

Une fraction des cotisations sociales est productive de droits ?

Oui

Oui

Non

* Sécurité sociale des indépendants

En termes de taxation fiscale, le gérant majoritaire, comme le dirigeant assimilé salarié d’ailleurs, a le choix entre deux options :

  • Depuis le 1er janvier 2018, il peut opter pour le Prélèvement forfaitaire unique (PFU) : son taux de prélèvement est de 12,80 % sur une assiette fiscale égale à 100 % des dividendes.
  • Il peut opter pour une imposition au barème progressif de l’impôt (selon des tranches d’imposition allant de 11 % jusqu’à 45 %)

Lorsque les dividendes versés à un travailleur indépendant sont soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu, ils bénéficient d’un abattement de 40 % sur la partie fiscale. Qu’en est-il pour les cotisations sociales ? C’est sur ce point que les interprétations divergent.

Pouvez-vous nous expliquer où se situe votre désaccord avec l’interprétation faite jusqu’alors par les URSSAF concernant l’assujettissement des dividendes aux cotisations sociales ?

Les URSSAF et le Régime social des indépendants (RSI) considèrent que l’assiette ne tient pas compte de l’abattement de 40 % :

  • Circulaire ACOSS du 28/03/2013: « Dans les sociétés d’exercice libéral (SEL), l’article 22 de la LFSS pour 2009 prévoyait que la fraction des revenus perçus, sous forme de revenus distribués ou d’intérêts de comptes courants d’associés par le travailleur indépendant, son conjoint (ou partenaire) et ses enfants mineurs non émancipés, supérieure à 10 % du capital social, des primes d’émission et des sommes versées en compte détenus par ces même personnes, entrait dans l’assiette des cotisations sociales. Il convient de préciser que pour l’application de ce dispositif, le montant des revenus distribués à prendre en compte est celui avant l’abattement fiscal de 40 %. L'article 11 de la LFSS pour 2013 étend cette mesure, à l’ensemble des sociétés (ne sont plus concernées les seules SEL). »
  • Circulaire RSI 14/02/2014: « La logique de l’article L.131-6 du code de la sécurité sociale est d’intégrer dans l’assiette des travailleurs indépendants l’ensemble des sommes qui constituent pour eux un revenu. C’est la raison pour laquelle l’article contient une disposition d’ordre général visant à neutraliser les règles fiscales dont l’objectif n’est pas d’évaluer un revenu net, mais traduisent des choix fiscaux (il s’agit de la réintégration de l’ensemble des exonérations dont a bénéficié le travailleur indépendant). Le montant des revenus distribués à prendre en compte pour le calcul de la somme à réintégrer est par conséquent le montant brut, avant l’abattement fiscal de 40 % »

De mon côté, je m’appuie sur l’article L 131-6 du Code de la Sécurité Sociale qui indique que les charges sociales sont dues sur une assiette égale au revenu « retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu ». Le texte prévoit une liste d’exonérations fiscales dans laquelle ne figure pas l’abattement de 40 % bénéficiant aux distributions.

Mon interprétation de l’article L131-6 du CSS s’appuie plus particulièrement sur sa version antérieure à 2019. Depuis, la texte a été modifié, à droit constant, c’est-à-dire sans modifier la portée du texte, mais en le rendant plus clair. Pourtant, cette nouvelle rédaction à droit constant rend le texte bien moins clair, selon moi.

Sur la base de cette interprétation, nombre de nos clients ont signalé à l’administration que la loi était contraire aux règles qu’elle appliquait. Souvent, ils ont bénéficié d’une rectification de leur assiette sociale, sans passer par le contentieux. Parfois cependant, l’administration nous a opposé les circulaires de l’ACOSS et du RSI, sans qu’aucune issue n’aboutisse.

Que dit le jugement retenu par le tribunal de première instance ?

Face au refus de l’URSSAF d’appliquer l’abattement de 40 % sur sa base sociale, l’un de nos clients à pris la décision d’aller au contentieux en s’appuyant sur notre analyse de l’article L.131-6 du CSS.

Le 12 mai 2020, le juge du tribunal judiciaire de Melun a opéré la même lecture de l’article.

Par ailleurs, le 18 août 2020, notre client a reçu un certificat de non-appel ce qui signifie que l’URSSAF ne fera pas appel de ce jugement.

Au regard de ce jugement, quel est votre conseil opérationnel pour vos clients ?

Pour la plupart de nos clients, qui ont un intérêt fiscal à opter pour le PFU, la question n'existe plus depuis le 1er janvier 2018, car le calcul de l'impôt retenu pour le PFU ne bénéficie pas de l'abattement fiscal de 40 %. Pour eux l'assiette sociale ne tiendra donc pas compte de l'abattement.

En revanche, pour les indépendants qui ont servi des dividendes en 2017 au barème progressif de l’impôt, alors que le PFU n'existait pas, et qui n'ont pas appliqué l'abattement de 40 % sur leur base sociale, il leur reste trois mois pour faire une réclamation aux URSSAF. Passé cette échéance, il y aura prescription. Pour le faire, ils peuvent s'appuyer sur le jugement rendu par le tribunal de Melun.

Pour les dirigeants qui n'ont pas intérêt fiscalement à opter pour le PFU, notamment les gérants majoritaires qui ont un revenu faible (entre 2 000 et 3 000 euros par an), il est nécessaire de mener une comparaison entre :

  • Opter pour le PFU et des charges sociales calculées sur une base sociale sans abattement

ou

  • Opter pour le barème progressif avec une base fiscale bénéficiant de l’abattement de 40 % et donc d’une assiette sociale bénéficiant également de cet abattement

Dépense entreprise avant IS à 28 % : 100 000 €

Revenu faible

Revenu moyen

Revenu élevé

Avec PFU (1)

Avec abattements (2)

Avec PFU (1)

Avec abattements (2)

Avec PFU (1)

Avec abattements (2)

Revenu disponible

45 908 €

54 633 €

50 889 €

53 083 €

53 676 €

49 660 €

Taux IR

14 %

14 %

30 %

30 %

45 %

45 %

Taux charges + CSG-CRDS

49,85 %

49,85 %

30,43 %

30,43 %

20,89 %

20,89 %

(1) Avec dividendes imposés au PFU et une assiette des cotisations sociales égale à 100 % des dividendes

(2) Avec dividendes imposés au barème et une assiette des cotisations sociales égale à 60 % des dividendes

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