Rupture de contrat de travail pour harcèlement moral : la Cour de cassation précise les critères d’appréciation de la preuve

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Rupture de contrat de travail pour harcèlement moral : la Cour de cassation précise les critères d’appréciation de la preuve

Lorsqu’un salarié est victime de harcèlement moral, il a la possibilité de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, aux torts de son employeur.

Qui doit apporter la preuve du harcèlement, et comment cette prise d’acte est-elle jugée par les tribunaux ? Une récente décision de la Cour de cassation nous permet de faire le point.

Harcèlement moral au travail : ce que dit la loi

Le harcèlement moral au travail est défini par le Code du travail à l’article L. 1152-1, comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

Prise d’acte : de quoi parle-t-on ?

La prise d'acte est un terme juridique qui désigne une démarche par laquelle un salarié met fin à son contrat de travail en raison d'un manquement grave de l'employeur à ses obligations contractuelles. Autrement dit, il s'agit d'une rupture unilatérale du contrat de travail, mais qui n'est pas une démission, car elle repose sur une faute ou un comportement de l'employeur.

Dans le cadre de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, le salarié estime qu'il n'est plus possible de continuer à travailler dans les conditions prévues par le contrat, en raison de l'attitude de l'employeur (par exemple, à cause d’un non-paiement des salaires, d’une modification importante du contrat de travail sans l'accord du salarié, etc.).

Le harcèlement moral est un motif légitime de prise d’acte

Le harcèlement moral peut tout à fait constituer un motif légitime de prise d’acte, car il représente un manquement grave à l’obligation de l’employeur, de garantir la santé et la sécurité du salarié.

Dans ce contexte, un salarié en CDI peut donc être amené à prendre acte de la rupture de son contrat de travail, si la justice reconnait qu’il a été victime de harcèlement moral.

Dans un litige portant sur le harcèlement moral, c’est le salarié qui doit apporter des éléments de fait laissant supposer qu'il en est victime. L’employeur, quant à lui, doit prouver que les faits reprochés ne constituent pas un tel harcèlement. Enfin, pour être justifiée, la prise d’acte doit reposer sur des faits suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat.

Prise d’acte : quelles conséquences ?

Si la prise d’acte n’est pas justifiée, elle produit les effets d’une démission - qui n’ouvre, donc, aucune indemnité ou droit au salarié. À l’inverse, lorsque la faute de l’employeur est avérée, la prise d’acte est assimilée à :

  • Un licenciement sans cause réelle et sérieuse - ce qui ouvre droit aux indemnités de licenciement et aux dommages et intérêts pour le salarié ;
  • Un licenciement nul, si le salarié bénéficie d’une protection particulière - par exemple, en tant que représentant du personnel ou femme enceinte.

À noter :

Le licenciement nul advient dans le cadre d’une rupture du contrat de travail où un droit fondamental du salarié n’a pas été respecté, notamment en cas de discrimination, de harcèlement ou d’atteinte à une protection spécifique (par exemple, de femme enceinte, représentant du personnel).

Lorsqu’un licenciement est déclaré nul par le juge, le salarié peut demander sa réintégration avec le versement des salaires non perçus depuis la rupture. S’il ne souhaite pas être réintégré, il perçoit des indemnités renforcées, généralement plus élevées que dans un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans la majorité des cas, les salariés protégés optent pour les indemnités, car retourner dans l’entreprise peut être compliqué après un conflit avec l’employeur. Mais la possibilité de réintégration est un droit qui leur est garanti.

L’affaire qui a fait jurisprudence

Dans sa décision du 5 février 2025, la Cour de cassation a reprécisé la marche à suivre en termes d’appréciation de la preuve dans un contexte de harcèlement moral au travail, en annulant un arrêt de la cour de Montpellier.

Les faits

Une salariée, engagée en tant qu’ambulancière en 2010, a connu plusieurs périodes d’arrêt maladie entre décembre 2017 et mars 2018. À son retour, elle affirme avoir été progressivement mise à l’écart par son employeur, notamment en n’étant plus convoquée à certaines réunions d’équipe et en ne travaillant plus que des demi-journées, avec des horaires communiqués au jour le jour. Elle reproche également à son employeur d’avoir signé un constat d’accident automobile en son nom sans l’en avoir informée et d’avoir faussement déclaré qu’elle conduisait un véhicule ayant eu un accident. Enfin, elle déclare que son employeur ne lui adressait plus la parole, et qu’elle était la seule à ne pas avoir bénéficié d’une prime de fin d’année.

Estimant que ces agissements constituaient du harcèlement moral, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 16 mars 2018 et a saisi la juridiction prud’homale en mai 2018, demandant la reconnaissance d’un licenciement nul.

La décision de la cour d’appel

Par un arrêt du 20 septembre 2023, la cour d’appel de Montpellier a jugé que la prise d’acte de la rupture par la salariée devait être requalifiée en démission. Elle l’a ainsi déboutée de toutes ses demandes d’indemnisations et l’a condamnée à verser à son employeur une indemnité compensatrice de préavis. La cour a estimé que les faits invoqués par la salariée ne permettaient pas de caractériser un harcèlement moral et que l’employeur n’avait pas commis de manquements suffisamment graves pour justifier une prise d’acte à ses torts. Elle a par ailleurs jugé que certains des comportements de l’employeur relevaient davantage d’erreurs de gestion ou de décisions discrétionnaires, sans intention de malveillance.

La Cour cassation rappelle les principes d’appréciation de la preuve

Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle les principes applicables en matière de harcèlement moral, notamment en vertu des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail. Elle souligne que :

  • Le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur ;
  • Le juge doit examiner l’ensemble des éléments avancés par le salarié et vérifier si, pris dans leur globalité, ils laissent supposer l’existence d’un harcèlement. Si tel est le cas, il appartient à l’employeur de démontrer que ses agissements reposent sur des éléments objectifs exempts de tout harcèlement.

La cour d’appel aurait donc commis l’erreur d’examiner les agissements de l’employeur isolément, en ne prenant pas en compte l’impact global de leur accumulation - notamment en ce qui concerne l’affectation de la salariée à des demi-journées de travail aléatoires, à son retour de congé-maladie.

La Cour cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel

La Cour de cassation a donc choisi de casser et annuler l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier en toutes ses dispositions, et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Nîmes pour être rejugée.

Une décision qui renforce la protection des salariés ?

Cette décision de la Cour de cassation constitue un rappel important des principes fondamentaux en matière de harcèlement moral et de prise d’acte. En annulant l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, la haute juridiction réaffirme que le harcèlement moral peut être établi indépendamment de l’intention de l’employeur et qu’il doit être apprécié dans sa globalité, et non à travers une analyse isolée des faits.

Pour les salariés, cette décision peut en un sens renforcer la possibilité de faire valoir leurs droits face à des conditions de travail dégradantes. Pour les employeurs, elle rappelle l’importance d’un management respectueux et transparent afin d’éviter toute situation pouvant être qualifiée de harcèlement moral.

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