Retraites des pompiers volontaires : un syndicat porte plainte contre le Premier ministre, sur fond de décret manquant
Alors que le gouvernement a confirmé la mise en œuvre d’une bonification de trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires à partir de 2026, le Syndicat des sapeurs-pompiers volontaires de France (SSPVF) a décidé de déposer plainte contre le Premier ministre Sébastien Lecornu pour « abus d’autorité ».
En cause : des conditions d’attribution jugées contraires à la loi votée en 2023 et un décret d’application qui n’a toujours pas vu le jour, deux ans après sa promulgation.
Une mesure de reconnaissance attendue depuis des années
Les sapeurs-pompiers volontaires représentent près de 80 % des effectifs de la sécurité civile en France, soit environ 200 000 personnes. Contrairement aux pompiers professionnels ou militaires, ils ne perçoivent pas de salaire mais des indemnités liées à leurs interventions. Leur engagement repose sur le volontariat et peut durer de quelques années à quelques décennies, souvent en parallèle d’une activité professionnelle.
L’article 24 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023, issue de la réforme des retraites, prévoyait dans son article 24 une bonification de trimestres pour ces volontaires :
« Les assurés ayant accompli au moins dix années de service, continues ou non, en qualité de sapeur-pompier volontaire ont droit à des trimestres supplémentaires pris en compte pour la détermination du taux de calcul de la pension et la durée d’assurance dans le régime. »
Mais depuis cette date, le décret d’application en Conseil d’État, indispensable pour rendre la mesure effective, n’a jamais été publié.
Un décret fantôme et des volontaires de plus en plus impatients
Selon le calendrier prévisionnel de l’Assemblée nationale, ce décret aurait dû paraître en décembre 2023. Plusieurs parlementaires ont d’ailleurs interpellé le gouvernement à ce sujet. Dans une question écrite du 12 août 2025, le député Horizons du Nord Jean Moullière rappelait qu’« en mai 2025, le ministre François-Noël Buffet s'était engagé [...] à une publication du décret d'ici la fin du mois de juin ».
Mais rien n’est venu. Résultat : le syndicat a déposé non seulement une plainte, mais aussi un recours en carence contre Matignon.
« L’absence prolongée de décret d’application prive donc les intéressés d’un avantage social légalement reconnu et porte ainsi atteinte au principe d’effet utile de la loi », peut-on lire dans le document signé par Bruno Ménard, secrétaire général du SSPVF.
L’annonce de Lecornu rallume la polémique
Vendredi 10 octobre 2025, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé que la mesure entrerait en vigueur en 2026, précisant que les sapeurs-pompiers volontaires ayant accompli au moins 15 années de service obtiendront un trimestre supplémentaire, puis un trimestre additionnel tous les 5 ans, dans la limite de 3 trimestres au total.
Bruno Retailleau a confirmé cette mesure qui permet de « saluer la fidélisation » des pompiers volontaires, lors de son passage congrès national des sapeurs-pompiers au Mans. Il estime son coût entre 40 et 45 millions d’euros.
Une controverse sur les conditions d’attribution
L’annonce a pourtant créé un tollé dans la profession. Le hic ? La loi de 2023 ne mentionnait pas une ouverture de droit au bout de 15 ans de service mais au bout de 10, continues ou non.
En allongeant le délai d’ouverture des droits à 15 ans, le syndicat des sapeurs-pompiers volontaires de France estime que le gouvernement ne respecte pas le texte voté par le Parlement. Il a donc déposé une plainte contre le Premier ministre pour « abus d’autorité » : « Une loi a été votée et doit être respectée et appliquée. Le Premier ministre n'est pas libre de la modifier comme bon lui semble », s’est insurgé le secrétaire général du syndicat Bruno Ménard sur BFM Business.
Matignon, de son côté, aurait justifié cette lecture en s’appuyant sur la formulation « au moins dix années de service », estimant que le seuil de 15 ans restait conforme à l’esprit du texte. Le cabinet de Sébastien Lecornu rappelle aussi que la durée moyenne d’engagement d’un pompier volontaire est de 12 ans et demi.
Une bataille juridique en préparation
Contacté par BFM Business, l’entourage du Premier ministre estime que la plainte est « impossible en l’état », le décret n’ayant pas encore été transmis au Conseil d’État, et le Premier Ministre bénéficiant d’une immunité supposée.
Mais le SSPVF ne compte pas en rester là : en parallèle, le syndicat prépare un recours administratif avec un collectif de quatre avocats pour faire annuler le décret dès sa publication, si celui-ci maintient le seuil de 15 ans.
Reste à savoir si ces batailles juridiques feront encore reculer la reconnaissance tant attendue de l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Matignon assure de son côté que la publication au Journal officiel interviendra avant la fin de l’année. Affaire à suivre…