Réforme des retraites : « En paie, il faudra gérer un 43ème régime de retraite obligatoire » (France Retraite)

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Réforme des retraites : « En paie, il faudra gérer un 43ème régime de retraite obligatoire » (France Retraite)

Mercredi 11 décembre 2019, le Premier ministre, Édouard Philippe, a présenté les grandes lignes du projet de réforme des retraites qui s’inspire largement du rapport Delevoye, lui-même présenté en juillet dernier : un système en points fusionnant les 42 régimes actuels, une cotisation de retraite identique pour tous les assurés sociaux, un système de bonus-malus autour d’un âge pivot, des droits familiaux à hauteur de 5 % de majoration par enfant, une réversion à 70 % des revenus du couple, une retraite minimum à 1 000 €/mois… Bien sûr de nombreux points restent à débattre et plusieurs organisations professionnelles et syndicales demandent un retrait complet de la réforme, toutefois les grandes lignes du projet sont connues.

Lire notre dossier complet sur la réforme des retraites :

Or, cette esquisse de réforme soulève de nombreuses interrogations pour les entreprises et notamment les gestionnaires de paie qui vont devoir tenir compte et traiter différemment trois générations d’assurés sociaux : 2004 et plus, 1975-2004 et avant 1975. Par ailleurs, les modalités techniques et financières du passage de 42 régimes à un régime universel risquent d’avoir un impact sur le montant des pensions.

Retour sur ces points techniques avec Benoît Meyer, consultant pour France Retraite et spécialiste du bilan retraite et de la gestion des fins de carrières.

Comment pourront être gérées les différentes générations prévues par la réforme sur le plan de la paie ?

Dans sa communication du 11 décembre, et dans l’attente des nouveaux échanges avec les partenaires sociaux qui auront lieu en janvier, le gouvernement prévoit un décalage de la mise en œuvre de la réforme des retraites :

  • Les générations nées avant 1975 resteront sur l’ancien système,
  • Celles nées à partir de 1975 verront leur retraite calculée selon le système actuel jusqu’au 1er janvier 2025 , puis selon le régime universel en points à partir de là,
  • Enfin, les personnes débutant sur marché du travail en 2022, nées après le 1er janvier 2004, seront concernées dès leur entrée dans la vie active.

Le principal impact pour les régisseurs de paie est qu’il va falloir gérer ces différentes populations, en matière de retraite obligatoire, au sein d’une même entreprise.

Pour ces trois populations, des moments clefs vont impacter la paie :

  • Le 1er janvier 2022 : il faudra introduire la nouvelle cotisation. On peut imaginer qu’il y aura deux lignes sur le bulletin de paie : la cotisation à 25,31 % sur les salaires inférieurs à 3 Plafonds de la sécurité sociale (120 000 € environ aujourd’hui) et une cotisation non contributive de 2,81 % au-delà. La difficulté sera d’identifier qui cotise sur ce nouveau système et qui reste sur l’ancien.
  • Le 1er janvier 2025 : pour tous ceux nés entre le 1er janvier 1975 et le 31 décembre 2003, il conviendra d’arrêter d’appliquer les cotisations de l’ancien système et d’introduire la nouvelle cotisation tout en conservant les cotisations de l’ancien régime pour les personnes nées avant 1975 qui ne seront pas encore parties à la retraite en 2025.

Pour les gestionnaires de paie, il y aura donc un 43ème régime à créer, puisqu’il faudra conserver les 42 anciens systèmes pour une partie de la population et appliquer un nouveau régime à l’autre partie de la population ; au moins jusqu’à ce que tous ceux nés en 1974 et avant soient partis en retraite, c’est-à-dire aux alentours de 2038.

Ce n’est pas difficile techniquement, mais ça représente une charge de travail et un coût pour les entreprises.

Cette triple gestion ne va-t-elle pas créer des iniquités dans l’entreprise ?

C’est encore difficile de répondre, car on ne connaît pas encore les détails de la réforme, mais on peut se poser la question du point de vue de la population des salariés. Sur le volet « cotisation », on aura un sujet d’équité sur les hauts-salaires, ceux qui dépassent les 3 Plafonds de la Sécurité sociale (PASS).

À partir du 1er janvier 2025, pour un salarié né en 1974, les cotisations de retraite obligatoire resteront les mêmes : il continuera de cotiser à l’AGIRC-ARRCO au-delà des 3 PASS.

Cotisations

Taux global

Employeur

Salarié

Assiettes des cotisation

Retraite AGIRC-ARRCO
Tranche 1

7,87 %

4,72 %

3,15 %

Jusqu’à 1 PASS

Retraite AGIRC-ARRCO
Tranche 2

21,59 %

12,95 %

8,64 %

Entre 1 et 8 PASS

En revanche, cette cotisation cessera pour le salarié né en 1975. Il économisera la cotisation salariale (8,64 %) et son salaire net augmentera, mais quid de la cotisation patronale (12,95 %) ? Car si elle s’arrête, cela ne vient pas automatiquement augmenter le salaire brut du salarié. On voit naître un problème d’équité avec ceux qui resteront dans l’ancien système. Le budget global alloué par l’employeur à un salarié pourrait ne plus être le même, selon s’il est né en 1974 ou en 1975, à poste et rémunération équivalents.

Une solution pour les entreprises pourrait être de réintégrer cette cotisation patronale dans le salaire brut du salarié. Est-ce que l’on regarde le « salaire brut + les cotisations » ou est-ce que l’on ne tient compte que du salaire brut ? Rappelons également que ces cotisations retraite patronales ne sont pas soumises à l’IR, alors que si celles-ci sont réintégrées telles qu’elles au salaire, elles seront soumises à l’IR.

Jusqu’à présent la question ne se posait pas, car au niveau de la retraite obligatoire, il n’y avait pas une telle distinction selon l’âge. Il suffisait de se baser sur le salaire brut pour juger de l’équité, mais avec la réforme le fait de prendre en compte l’âge pour appliquer les cotisations pourrait créer des inégalités sur lesquelles les entreprises devront se positionner.

Ces problématiques n’ont pas été anticipées par le gouvernement ?

Cette question de l’équité entre les générations a été abordée en ce qui concerne les enseignants. Dans la Fonction publique, on calcule le montant de la pension de retraite sur les 6 derniers mois. Ils ont globalement des carrières similaires encadrées par des échelons. Avec le régime universel, leur carrière sera prise en intégralité pour le calcul de leur retraite ce qui diminuera fortement leur pension. Pour pallier cette baisse, le Premier ministre a promis une hausse de la rémunération des enseignants tout au long de leur carrière pour qu’ils cotisent plus et maintiennent leurs droits à retraite. Le problème c’est que l’on risque de se retrouver avec des enseignants nés en 1974, d’autres en 1975, aux mêmes échelons avec des rémunérations différentes.

Est-ce la seule inégalité que le nouveau système pourrait engendrer ?

Ces questions de salaires brut vont au-delà des rémunérations. Dans de nombreuses entreprises, il existe des systèmes de retraite supplémentaire, Plans d’épargne retraite catégoriels (anciennement « articles 83 »), qui sont réservés à des catégories objectives de salariés. Parmi les critères qui définissent ces catégories, il peut y avoir une référence à la rémunération brute en fonction d’un nombre de PASS. Dans une entreprise où les salaires bruts varient en fonction des générations, certains pourraient avoir droit au plan et d’autres non. Plus encore, les montants des cotisations à ces plans varieront car elles sont fonction d’un taux assis sur la rémunération brute et donc l’acquisition de droits variera également.

Que va-t-il advenir des droits acquis dans l’ancien régime de retraite pour les assurés qui seront sur les deux systèmes ?

Selon Édouard Philippe, toute la partie de carrière qui a lieu avant 2025 donnera lieu à une retraite calculée sur les anciennes règles. Seules les années travaillées à partir de 2025 seront régies par le système universel. Ainsi, la première génération qui partira à la retraite aura encore 70 % de sa retraite calculée selon l’ancien système.

Sera-t-il possible de figer les droits dans l’ancien système ?

Avant de figer les droits à retraite dans l’ancien système, il va falloir définir quels sont les droits acquis. Cela sera plus ou moins difficile selon les régimes.

Par exemple, si l’on prend un cas simple : le régime complémentaire AGIRC-ARRCO. Il s’agit d’un système où chaque assuré accumule progressivement un stock de points. Il serait facile de considérer qu’au 31 décembre 2024, le stock de points d’un assuré cesse d’évoluer et que l’on utilise un coefficient de transformation pour lui donner un équivalent en « points retraite universel ». Dans ce cas précis, on pourrait s’en sortir sans trop de difficultés, encore faudrait-il tenir compte des droits familiaux, des majorations, des points gratuits, etc.

En revanche, si l’on prend un régime moins évident à traiter : l’Assurance retraite de base pour les salariés du privé. Un régime que l’on qualifierait plutôt de régime « à prestations définies ».

Dans le régime de retraite de base des salariés, la pension est calculée au regard de l’intégralité des droits de la carrière, c’est-à-dire que l’on se positionne du point de vue de la fin de la carrière pour connaître les modalités de la retraite. Tant que l’on n’a pas fini sa carrière, il est difficile d’évaluer précisément quel sera le montant de la pension. C’est le travail quotidien de France Retraite. Lorsque nous réalisons des études retraites, nous projetons la situation d’une personne pour définir quelle sera sa fin de carrière. Deux paramètres doivent être évalués : la durée d’assurance (43 annuités pour avoir une retraite à taux plein) et les 25 meilleures années de revenus.

En figeant les droits dans l’ancien système, la carrière sera nécessairement tronquée. On ne pourra pas tenir compte des 25 meilleures années d’un assuré pour déterminer le montant de sa pension dans l’ancien système, puisque sa carrière ne sera pas achevée. De la même manière, il n’aura pas encore atteint la durée d’assurance requise pour sa génération. Dans ce cas, comment déterminer son taux de pension ?

Des décisions devront être prises : toutes les variantes sont possibles, on peut notamment imaginer :

  • Mettre tout le monde à taux plein d’office : c’est une solution qui coûterait très cher
  • Sélectionner les 25 meilleures années des 70 % de la carrière passée dans l’ancien régime, mais dans ce cas on exclut les dernières, passées dans le nouveau régime, qui sont souvent les meilleures en termes de rémunération

Dans tous les cas, des choix seront à faire, indépendamment de la réalité des carrières des assurés.

Une fois ces décisions actées, se posera la question de la conversion.

Est-ce que cette pension restera portée par les régimes actuels ou est-ce qu’elle sera « convertie » en points dans le nouveau régime ?

Cette potentielle conversion est un nouveau point de vigilance. En effet, en tant que spécialistes des reconstitutions de carrière, nous savons que le relevé individuel de situation, qui contient toute l’information retraite, est incomplet ou comporte des erreurs/anomalies dans un cas sur trois. Souvent ces erreurs sont rectifiées au moment de la liquidation de retraite.

Si les anciens droits à retraite sont figés puis convertis en nouveaux droits plusieurs années avant la prise effective de la retraite, il sera indispensable aux assurés sociaux d’être particulièrement vigilants individuellement pour vérifier que ce qui va être transformé contient bien toute l’information concernant leur retraite.

D’après le rapport Delevoye, il y aurait une période pour contester la transformation, il va donc falloir que chacun s’assure seul que toutes les périodes de travail sont comptabilisées, ou qu’il ait recours à des experts pour être accompagné dans ce travail d’audit.

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