Rapport Vachey : « les propositions faites semblent relever du musée des horreurs » Pierre Mayeur, directeur général de l’OCIRP

La loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a créé une nouvelle branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie dont la gestion a été confiée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Lundi 14 septembre 2020, l’inspecteur général des finances, Laurent Vachey, missionné par le Gouvernement, a remis aux ministres chargés des Comptes publics, des Solidarité et de la Santé, de l’Autonomie et à la secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée des personnes handicapées, son rapport relatif à la création de la branche « autonomie ».
Il propose plusieurs pistes de financement de la branche autonomie : augmentation de la CSG sur les retraites, mesures de transfert, réduction de niches sociales et fiscales, création d’une seconde journée de solidarité, etc. Previssima vous propose de revenir sur les principales propositions de ce rapport, ainsi que sur la place et le rôle des assureurs sur les questions de dépendance avec Pierre Mayeur, Directeur général de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (OCIRP) et ancien directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).
Previssima - La lettre de mission de l’inspecteur général des finances, Laurent Vachey, avait un objectif de financement de 1 milliard d’euros supplémentaires dès 2021 et 3 à 5 milliards d’euros à l’horizon 2024, ces chiffres sont-ils réalistes ?
Pierre Mayeur – Ces objectifs sont réalistes par rapport au chiffrage fait par le rapport Libault qui évaluait à 9 ou 10 milliards d’euros, d’ici 2030, les besoins de financement de la perte d’autonomie.
Dans le cadre de création de ce 5ème risque, le Gouvernement et les parlementaires ont proposé l’affectation de 0,15 point de CSG à cette branche à partir de 2024, une somme nettement insuffisante par rapport aux besoins. Il faut donc trouver des financements pour l’Autonomie d’où la commande passée à Laurent Vachey.
Que pensez-vous des propositions de financement de la branche Autonomie inscrites dans le rapport Vachey ?
En réalité, il y a deux rapports Vachey.
Le premier rapport traite du sens, du périmètre, de la gouvernance (locale et nationale) et de l’architecture financière de cette 5ème branche. Il fait un certain nombre de compromis, plutôt de bon sens, entre les différentes parties prenantes.
Le deuxième rapport Vachey liste 19 mesures de financement, sans beaucoup de contextualisation ou de hiérarchisation. Je pense que c’est volontaire, car il n’y a ni filtre, ni choix, ni orientation sur le degré de complexité de la mise en place de certaines propositions.
Du coup, les propositions faites semblent relever du « musée des horreurs ».
Alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs
Macro-économiquement parlant, il est toujours possible de sortir un argumentaire pour expliquer que les retraités sont bien traités par rapport aux actifs. Pour les jeunes retraités ce n’est pas faux, c’est moins vrai pour des gens qui sont en retraite depuis 20-25 ans et qui ont vu leur pouvoir d’achat rester au mieux identique. La piste visant à augmenter le taux de CSG des retraités (3,8 %, 6,6 % ou 8,3 % selon les revenus) au niveau de celle des actifs (9,2 %) me parait très compliquée. Augmenter un prélèvement sur les retraites, ce n’est pas la même chose que de le faire sur les actifs. Un salarié pourra peut-être bénéficier d’une augmentation de salaire ou choisir de changer de travail, mais un retraité n’a pas ce type de perspectives. Sa retraite est acquise. Il y a quelque chose de très perturbant et presque angoissant à voir le montant de la pension, qui vous fait vivre chaque mois, baisser. À mon avis, cet effet psychologique n’a pas été anticipé dans les bonnes conditions en 2017-2018. Pour cette raison, j’ai du mal à croire à une nouvelle augmentation de la CSG sur les retraites.
Taxation des entreprises et mesures d’économie
Le rapport propose également des taxations sur les entreprises. Ce type de mesure n’est pas vraiment dans l’air du temps alors qu’on s’ingénie à tenter de baisser les impôts de production.
Réguler les dépenses de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) et prendre en compte le « loyer fictif » pour l’attribution de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) sont des mesures très impopulaires.
Transfert de branche
Une des mesures consiste à organiser des transferts entre la branche Famille, structurellement excédentaire, vers la branche Autonomie (150 millions d’euros à partir de 2024). Ce n’est pas crédible, nous connaissons aujourd’hui la dette de la Sécurité sociale qui s’élève à 2 % du PIB, c’est presque deux fois plus qu’en 2010. Il n’y a donc pas de branche excédentaire.
Relever l’exonération totale de cotisations patronales pour les particuliers employeurs
Déjà présentée dans plusieurs rapports, l’une des mesures proposées consiste à relever l’exonération totale de cotisations patronales pour les particuliers employeurs de plus de 70 ans qui ont recours aux services à domicile. Selon moi, la seule piste praticable est de relever l’âge, non pas à 80 ans comme proposé dans le rapport, mais à 75 ans, et de manière progressive. Remettre en cause l’exonération est antinomique avec la volonté des politiques publiques de privilégier la prévention et le maintien à domicile plutôt qu’en EHPAD.
Création d’une deuxième journée de solidarité
Enfin, la proposition visant à mettre en place une deuxième journée de solidarité relève un peu du gadget. En réalité, il s’agirait d’une nouvelle taxe ou d’une augmentation de cotisation de Sécurité sociale complémentaire basée sur le raisonnement suivant : travailler plus nous fait produire davantage, ce surplus de production nous permet d’augmenter les recettes de la Sécurité sociale et d’alimenter la branche Autonomie. Dans les faits, cela fonctionne très mal. Beaucoup d’entreprises fractionnent la journée de solidarité ou choisissent un autre jour que le lundi de pentecôte. Par ailleurs, ce type de mesure est massivement rejetée par les organisations syndicales.
La piste de l’assurance dépendance obligatoire est écartée par le rapport, qui lui préfère l’assurance volontaire…
Effectivement, le rapport écarte la piste de l’assurance dépendance obligatoire prônée par la Fédération française de l’assurance (FFA) et la Fédération nationale de la mutualité française (FMNF) pour lui préférer l’assurance volontaire. L’idée est de dire qu’il existe une assurance volontaire pour les personnes qui souhaitent s’assurer contre la dépendance.
Pour nous, l’assurance volontaire est une mesure nécessaire pour prendre en compte une partie des dépenses liées à l’hébergement dans un EHPAD. Il faut également anticiper que la prise en charge à domicile sera de plus en plus complexe et de plus en plus chère.
Comment peuvent se positionner les assureurs par rapport aux décisions des pouvoirs publics ?
Clarification du cadre législatif et réglementaire
D’abord, les assureurs ont besoin de connaître exactement quelle sera la prise en charge de la Sécurité sociale ou du département ; un cadre clair pour que les assurés comprennent ce qui est pris en charge ou non. En cela, la loi sur l’Autonomie, nous paraît intéressante, car elle va permettre cette clarification.
Des outils compatibles avec les grilles d’évaluation publiques
Ensuite, l’évaluation de la dépendance dans les contrats privés devra s’articuler par rapport aux dispositifs publics. Actuellement, ce n’est pas le cas de tous les contrats. Certains peuvent tenir compte des actes de la vie quotidienne, mais pas de la grille AGGIR. Cela ne crée pas de la confiance.
Information du souscripteur
Enfin, il faut de la visibilité, de la transparence et de l’information pour créer de la confiance avec les personnes qui souscrivent un contrat dépendance.
Quel rôle peuvent avoir les assureurs pour participer à la sensibilisation au risque dépendance ?
Pour les personnes les plus défavorisées, la situation sera prise en charge par les pouvoirs publics. La question de la sensibilisation à la dépendance par les assureurs concerne surtout les personnes qui ne font pas partie des plus pauvres. Celles qui, sans posséder un gros capital ou un gros patrimoine, seront soumises à des pressions financières importantes en cas de dépendance.
Pour ces assurés, l’assurance dépendance aujourd’hui est quasiment une assurance patrimoine. S’ils possèdent une petite maison de vacances, de famille ou un appartement, qu’ils veulent transmettre à leurs enfants, et qu’ils ne souhaitent pas que le produit de ce bien immobilier soit utilisé pour financer leur dépendance le moment venu, ils peuvent être intéressés par un contrat dépendance.
Par ailleurs, toutes les personnes qui sont en situation d’aidant ou en situation d’enfant de personnes âgées dépendantes sont conscientes du prix de cette dépendance. Souvent, cette sensibilisation intervient vers 60-62 ans, au moment de la retraite, ce n’est pas inintéressant, mais c’est souvent un peu tard. Or, il est difficile d’intéresser une personne qui a 40 ans à la dépendance. Il s’agit d’un âge où l’on se pose plus la question de la retraite ou de l’acquisition du logement.
Quelles sont les pistes actuelles favorisées par les organismes assureurs en ce qui concerne la dépendance ?
Il ne faut pas croire au produit unique : un seul contrat d’assurance dépendance ne peut pas suffire. Il est nécessaire de proposer une gamme de produits et de contrats variables avec :
- Des produits sur la prévention de la perte d’autonomie
- Des produits sur la dépendance partielle
- Des produits sur la dépendance totale
- Un panachage possible entre la dépendance partielle et totale
Il faut une diversité des produits, mais une grammaire commune notamment des outils d’évaluation communs pour tous les assureurs.
Pour notre part, le contrat dépendance OCIRP est un contrat en points qui marche à la fois en collectif et en individuel. En cas de réalisation du risque, la rente sera le produit de l’effort contributif et de sa durée. Ses intérêts principaux reposent sur le fait qu’il ne comporte pas de questionnaire santé et que les cotisations sont définitivement acquises. Si le souscripteur ne peut pas cotiser une année, la rente sera tout de même versée, mais calculée en fonction des années cotisées.
Est-ce que les assureurs ont des solutions pour les aidants ?
À l’OCIRP, nous avons lancé un produit collectif au niveau des branches professionnelles et des entreprises. Cette garantie aidant comprend :
- un capital pour la personne aidée,
- une compensation financière pour la personne aidante,
- et des services d’accompagnement et d’assistance pour l’aidant et pour l’aidé.
Sur le marché, des contrats individuels existent également. Ce type de garantie « proche aidant » pourrait aussi être incluse dans un contrat d’habitation ou dans un contrat santé.
Par ailleurs, depuis le 1er octobre 2020, l’indemnisation du congé du proche aidant s’applique à hauteur de 50 € par jour. Ce qui correspond au SMIC. Elle est possible sur une période de 3 mois et sur toute la carrière professionnelle. Pour des aidants de long terme, avec des niveaux de salaire plus élevés que le SMIC, ce qui correspond heureusement à la majorité des salariés, des solutions peuvent se construire autour de ce premier niveau d’indemnisation.
Enfin, la question des aidants est un excellent levier pour intéresser les gens à la dépendance.