Qu’est-ce qui explique l’augmentation des arrêts maladie en France ?

Après une forte hausse des arrêts maladie entre 2020 et 2022, marquée par l'impact de la crise sanitaire, le nombre de journées indemnisées pour incapacité de travail a reculé en 2023. Pourtant, il reste nettement supérieur à celui de 2019, avant la pandémie. Avec 10,2 milliards d’euros de coûts annuel d’indemnités journalières, les arrêts maladie représentent une part majoritaire -et croissante- des dépenses de l’Assurance Maladie.
Dans ce contexte, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) viennent de publier une étude qui dresse un état des lieux de cette évolution, et explore les enjeux économiques et sociaux liées à elle. Décryptage.
Les arrêts maladie représentent l’essentiel des arrêts de travail
En 2023, les arrêts maladie représentaient 85% des arrêts de travail indemnisés et environ 60% des dépenses totales liées aux indemnités journalières (IJ) versées par l’Assurance maladie.
Pour rappel : L’arrêt de travail est un terme générique qui englobe les situations dans lesquelles un salarié cesse temporairement son activité professionnelle pour des raisons de santé, qu'elles soient liées ou non à son activité professionnelle. Il inclut : · Les arrêts maladie, qui sont prescrits lorsqu’un salarié ne peut pas exercer son activité, à cause d’un problème de santé non lié à son travail (maladies courantes, blessures non professionnelles, troubles mentaux, etc.). · Les accidents du travail, qui concernent les blessures ou maladies survenues directement sur le lieu de travail, ou dans le cadre de l’exercice des fonctions professionnelles. · Les maladies professionnelles, reconnues étant des pathologies directement causées par l’activité professionnelle (exposition à des substances nocives, gestes répétitifs, etc.). · Les congés maternité/paternité/adoption : bien qu’ils ne soient pas toujours qualifiés d’arrêt de travail classique, ces types de congés impliquent une suspension temporaire de l’activité, pour accompagner la naissance ou l’adoption d’un enfant. Les indemnités journalières (IJ) compensent partiellement la perte de revenu des salariés qui sont en incapacité physique de travailler, mais leur montant diverge selon le type d’arrêt de travail.
Des compléments à ces indemnités de base peuvent être ajoutés par l’employeur selon les conventions collectives. |
Selon l’étude de la DRESS, les arrêts maladie constituent la catégorie la plus fréquente d’arrêts de travail : environ 5,9 millions de salariés bénéficient chaque année d’au moins un arrêt maladie indemnisé, avec une moyenne de 1,4 arrêt par an par bénéficiaire. Cela concerne plus du quart des salariés, témoignant de la fréquence des arrêts maladie dans la vie professionnelle.
C’est aussi la catégorie la plus coûteuse : en 2023, les dépenses liées aux arrêts maladie s’élevaient à 10,2 milliards d’euros, contre 6 milliards en 2010. Les arrêts pour accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) continuent eux d’augmenter, atteignant 4,1 milliards d’euros, tandis que les dépenses liées aux congés maternité/paternité/adoption se stabilisent à 2,7 milliards d’euros, dans un contexte de baisse de la natalité.
Comment expliquer cette croissance des arrêts maladie ?
Des facteurs démographiques : le vieillissement de la population active
L’augmentation du nombre de salariés et le vieillissement de la population active sont des facteurs importants qui contribuent à la hausse des arrêts. Les arrêts des plus de 50 ans représentent ainsi 29% des cas mais 42% des coûts, tandis que les moins de 35 ans, qui totalisent un tiers des arrêts, ne génèrent que 22% des dépenses.
Les arrêts maladie sont en effet plus longs chez les plus de 50 ans en raison de leur état de santé (soins plus lourds à traiter) et d’une récupération moins rapide. De plus, les réformes successives repoussant l’âge légal de départ à la retraite ont obligé les travailleurs à rester actifs plus longtemps, augmentant leur exposition à des risques de santé liés à l'âge. En conséquence, la prolongation de la vie professionnelle entraîne une hausse des arrêts maladie parmi les seniors.
Des facteurs économiques : la revalorisation du Smic
Cette hausse des dépenses est également liée à la revalorisation du Smic (salaire minimum) destinée à compenser l'inflation. A ce sujet, il faut savoir que les indemnités journalières sont calculées sur la base des salaires. Aussi, si le Smic augmente, les indemnités pour les travailleurs qui touchent ce salaire augmenteront aussi. Et comme les jeunes salariés représentent une part importante des bénéficiaires du SMIC, ce sont eux qui profitent particulièrement de cet ajustement.
L’impact selon le sexe et le secteur d’activité
Le rapport montre que les femmes connaissent depuis quelques années une forte hausse des arrêts, bien que leur taux de participation au marché du travail n'ait pas augmenté aussi rapidement. Celle-ci peut s’expliquer par des différences d’état de santé (notamment liées aux grossesses), de moins bonnes conditions de travail, l’impact de la double charge professionnelle et familiale, ainsi que des comportements plus préventifs que les hommes.
De plus, des différences sectorielles apparaissent : par exemple, les secteurs comme la santé (conditions de travail épuisantes, exposition accrue aux risques sanitaires), le BTP (environnement dangereux, travail physique pénible) et les métiers de transport et logistique (efforts physiques intenses, risques d’accidents), présentent des arrêts maladie plus longs que la moyenne, avec des implications financières plus importantes.
Le rapport souligne également que les travailleurs indépendants, précaires ou en contrats courts prennent moins d’arrêts, souvent par crainte de perdre leur emploi.
Durée des arrêts et coût
Les arrêts maladie sont classés en trois grandes catégories :
- Courts (moins de 7 jours), souvent liés à des pathologies aiguës (grippe, blessures)
- Moyens (7 à 30 jours), en hausse, liés à des affections plus sérieuses ou à des situations de stress.
- Longs (plus de 30 jours), représentant 15% des cas, principalement associés aux maladies chroniques et/ou psychologiques.
Les arrêts maladie courts sont les plus fréquents (ils représentent près de la moitié des arrêts indemnisés) mais ne concernent que 4 % des dépenses. A l’inverse, les arrêts longs (supérieurs à six mois) représentent seulement 7% des cas, mais représentent 45% des dépenses totales. Les arrêts de longue durée sont par ailleurs plus fréquents chez les salariés âgés, ainsi que dans certains secteurs d’activité, comme la construction, l’industrie et la santé.
Les recommandations du rapport de la DREES et de la CNAM
Le rapport souligne l'importance de la prévention pour réduire les arrêts maladie, en mettant l'accent sur l'amélioration des conditions de travail, la promotion de la santé mentale, et la réduction des risques psychosociaux, avec des propositions pour sensibiliser les employeurs et renforcer les dispositifs d'accompagnement. Il insiste également sur la digitalisation, pour simplifier les démarches administratives et le suivi des arrêts, ainsi que sur la coordination entre médecins, entreprises et Assurance Maladie pour favoriser le retour au travail.
Étude publiée le 13 décembre 2024 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM).