Quand nos trajets nous minent : la mobilité, nouvelle frontière de la santé mentale

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Quand nos trajets nous minent : la mobilité, nouvelle frontière de la santé mentale

Et si nos trajets quotidiens n’étaient pas seulement une affaire de temps ou de CO₂, mais aussi un facteur majeur de santé mentale ? C’est la question posée par une vaste enquête menée par l’Ifop pour l’Institut Terram et l’Alliance pour la Santé Mentale auprès de 3 300 Français : nos déplacements, qu’ils soient choisis ou subis, apaisants ou épuisants, dessinent une géographie inédite de la souffrance psychique.

Trajets : un angle mort du bien-être psychologique

Mobilité rime souvent avec urbanisme, transition énergétique ou emploi. Mais rarement avec anxiété, burn-out ou détresse psychologique. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 41 % des personnes ayant connu des symptômes dépressifs estiment que leurs problèmes de déplacement en sont en partie la cause. Cette proportion grimpe à 43% en cas de burn-out et même à 46% pour les épisodes de colère violente.

La routine des déplacements quotidiens, notamment entre le domicile et le lieu de travail ou d’études, pèse bien au-delà du simple temps de trajet. Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, a ainsi théorisé la notion de fatigue décisionnelle : à force d’accumuler des micro-contraintes - horaires à respecter, retards imprévus, promiscuité, bruit, vigilance permanente -, le cerveau s’épuise, sa capacité à faire face au stress s’émousse. Or, dans le cadre de la mobilité pendulaire, cette fatigue s’installe durablement, au rythme des heures de pointe et des trajets imposés. Contraints et répétés, ces déplacements ne relèvent plus du choix mais de la nécessité, réduisant les marges de manœuvre et érodant jour après jour la résilience psychique. Pour les étudiants comme pour les actifs, la mobilité devient un fardeau invisible, un facteur d’épuisement chronique qui altère profondément le bien-être mental.

Quand bouger devient une charge mentale

Pour de nombreuses personnes, la mobilité s’impose comme une contrainte structurante, que ce soit pour aller travailler, se faire soigner ou maintenir des liens sociaux. Et plus les distances sont longues, plus les effets négatifs se font sentir. Ainsi :

  • 67 % des personnes parcourant plus de 50 km par jour se disent affectées par leurs trajets ;
  • Contre seulement 19 % pour celles qui se déplacent sur moins de 5 km.

Le palmarès des modes de transports les plus anxiogènes

Avec 80% d’usagers réguliers, la voiture reste le mode de transport le plus utilisé des Français. Bien que dominante, elle n’est pas la plus apaisante : elle incarne une autonomie coûteuse, parfois illusoire, avec ses embouteillages, ses aléas, sa charge mentale.

Selon le mode de déplacement, le niveau de stress varie. La marche à pied apparaît ainsi comme la grande gagnante du bien-être quotidien. Utilisée seule, elle affiche le taux de stress le plus faible (14 %), devant la voiture (17 %), la marche couplée à un autre mode (21%), le train (28%), le bus (30%), le vélo (32%), le métro ou tramway (34%) et la trottinette (41%).

Le sentiment de maîtrise semble donc un rôle clé dans l’expérience de mobilité : plus l’on se sent autonome et maître de son trajet - comme c’est le cas avec la marche ou la voiture personnelle - moins l’on ressent de stress. À l’inverse, les transports collectifs, soumis aux imprévus et aux contraintes extérieures, sont perçus comme plus stressants.

Urbains ou ruraux : des maux différents, une souffrance commune

En moyenne, les Français parcourent 42 km aller-retour chaque jour, pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail ou d’étude, pour une durée moyenne de 65 min. Paradoxalement, c’est en ville que les trajets sont les plus longs (66 min contre 61 min en milieu rural).

La ville concentre les tensions : bruit, promiscuité, transports saturés. 39 % des urbains déclarent éprouver de l’anxiété liée à leurs trajets, contre 30 % en milieu rural. Mais les campagnes, elles, souffrent d’un isolement logistique : les distances sont plus longues, les coûts plus élevés… Si bien qu’il peut parfois régner un sentiment d’assignation à résidence.

Résultat : 57 % des Français déclarent que le manque de desserte freine leurs perspectives de vie. Près de la moitié se sentent même « prisonniers » de leur environnement.

Femmes, jeunes et parents solos semblent les plus affectés

56% des femmes de moins de 35 ans jugent l’offre de transports insatisfaisante et ne s’y sentent pas en sécurité. Les familles monoparentales cumulent fatigue, charge mentale et stress : 43 % d’entre elles associent les trajets à un épisode de colère intense, soit deux fois plus que les personnes sans enfant.

Les jeunes actifs et étudiants sont également plus exposés psychologiquement : 35 % des 18-34 ans estiment que leurs trajets affectent leur santé, contre 22 % des 50-64 ans.

Et si la mobilité devenait un soin ?

La bonne nouvelle, c’est que tous les trajets ne se valent pas. La marche et le vélo, surtout lorsqu’ils sont combinés aux transports collectifs, améliorent significativement le bien-être mental : 76 % des usagers de mobilités actives et douces perçoivent ainsi des effets bénéfiques sur leur santé mentale.

Les transports collectifs, malgré leurs défauts, peuvent offrir un temps de transition psychique, un sas entre deux obligations. Encore faut-il que l’offre soit adaptée, régulière, sûre et confortable. C’est loin d’être le cas partout : en milieu rural, la satisfaction chute de 20 à 30 points par rapport aux grandes villes.

Un enjeu d’aménagement… et de justice sociale

Cette étude met en lumière une équation claire : mieux penser la mobilité, c’est mieux penser la santé publique. Il ne s’agit plus seulement de faire arriver les gens à l’heure, mais de leur éviter l’épuisement, l’anxiété et la résignation. L’institut Terram, think tank dédié à l’étude des territoires, plaide ainsi pour « redonner à la mobilité sa juste place, non comme fin en soi, mais comme condition d’une vie apaisée et choisie », en remettant l’humain au centre des politiques de transport. Au-delà du simple déplacement d’un point A à un point B, chaque trajet se révèle en effet porteur d’enjeux aussi profonds que l’accès à l’autonomie, le sentiment de maîtrise sur le temps, l’équilibre psychique et physique ou la réappropriation de soi. De quoi voir sous un nouveau jour l’éternel « métro-boulot-dodo ».

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