Présidentielle 2022 : Yannick Jadot répond à nos questions en matière de protection sociale

Dans le cadre de la campagne présidentielle 2022, Previssima a sollicité les équipes de campagne des candidats pour recueillir leurs propositions en matière de protection sociale.
Yannick Jadot, du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV) a accepté de répondre à nos questions.
Retraite
Est-il selon vous nécessaire de repousser l’âge légal de départ en retraite ?
Le report de l'âge de départ à taux plein n'est pas justifié par des considérations financières : le dernier rapport du COR de juin 2021 montre qu’il n’y a aucun problème financier (le solde prévisionnel futur s'établit, selon les hypothèses économiques, entre -0,7 % et + 2,1 % du PIB).
L’idée de reporter l’âge légal obéit donc bien davantage à des considérations idéologiques qu’à une analyse sereine et lucide des enjeux.
Plus globalement, estimez-vous qu’il faille réformer le système de retraite en profondeur ; le cas échéant, quelles sont vos propositions en la matière ?
Notre priorité, c’est une réforme des retraites qui apporte plus de justice sociale. Aujourd’hui, un Français pauvre sur quatre meurt avant l’âge de la retraite. Pour les hommes, 13 années d’espérance de vie séparent les 5 % les plus riches des 5 % les plus pauvres. Pour les femmes, l’écart est de 8 ans. C’est inadmissible.
Si ne reporterons pas l’âge légal de départ, nous permettrons en revanche à toutes celles et ceux qui ont exercé des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite, par le rétablissement et le renforcement du compte pénibilité.
Nous garantirons qu’aucune personne âgée ne vive dans la pauvreté en augmentant l'Allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), au niveau du seuil de pauvreté, soit 1 100 euros. Nous ramènerons à 65 ans l’âge de l’accès à une retraite à taux plein pour tous et toutes (67 ans aujourd’hui). Nous fixerons également comme règle qu’aucune retraite ne soit inférieure au SMIC pour une carrière complète.
Enfin, et parce que la retraite ne signifie pas l’arrêt de tout activité, nous ouvrirons des droits à la formation aux personnes retraitées qui voudraient s’engager bénévolement dans la vie sociale et associative au service d’actions d’intérêt général.
Santé
Comment doit s’organiser à l’avenir, le rôle des complémentaires santé avec celui de la Sécurité sociale ?
Je ne suis pas favorable au projet de Grande Sécu. Le risque est qu’il conduise à une Sécurité sociale réduite à un socle étatisé, garantissant des prestations limitées, toujours plus conditionnelles, tandis que les plus aisés pourraient compléter leur protection sur les marchés, avec une dérive accrue vers une privatisation des complémentaires.
Nous préférons faire le pari d’une protection sociale démocratisée qui renforce la gestion multipartite (État, partenaires sociaux, usagers et organismes complémentaires) autour des valeurs de solidarité et d’égalité. L'étatisation de la Sécurité Sociale n’est pas une perspective souhaitable.
Les mutuelles doivent rester ancrées dans le modèle de l’économie sociale et solidaire, modèle menacé par l’évolution des directives européennes sur les instituts de prévoyance et des assurances.
Nous proposons la mise en place d’un plafond négocié avec les mutuelles pour limiter les frais de gestion et de communication du fait d’une moindre exposition au marché concurrentiel et une autorité de contrôle spécifique pour garantir une homogénéité et une transparence de l’offre et des contrats.
Nous proposons également de relever le seuil de revenu pour l'accès à une complémentaire santé solidaire – CSS (aujourd'hui 9000 euros/an) au moins au niveau du seuil de pauvreté et lutter contre le non recours au dispositif (7 millions de bénéficiaires pour 12 millions d’éligibles). Cela est nécessaire pour celles et ceux actuellement mal couverts par une protection complémentaire : les retraité.e.s, les chômeur.euse.s, les travailleur.euse.s les plus pauvres, les plus précaires.
Faut-il réformer le système de santé ? Quelles sont vos propositions en ce sens ?
Pour garantir une protection sociale à toutes et tous, je proposerai aussi l’intégration des bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME) au régime général de la sécurité sociale. Ceci, pour garantir l’accès aux soins à une population particulièrement fragile d’un point de vue sanitaire, protéger leur couverture santé des sautes d’humeur du gouvernement, favoriser la prévention, limiter le non recours, simplifier le travail des praticien.ne.s et fluidifier le système de santé.
L’urgence absolue, nous l’avons constaté, c’est de sauver notre hôpital public de la noyade. Nous lancerons un grand Plan de sauvetage de l’hôpital : reprise de la dette, fin des fermetures des lits et adaptation de l’offre aux besoins réels des populations locales, application de ratio normés patient.e.s/soignant.e.s, enfin un plan massif de transformation des bâtiments hospitaliers et médico-sociaux.
La seconde priorité, c’est la reconnaissance de l’utilité sociale des soignant.e.s et de la valeur de leur travail. Nous embaucherons 100 000 infirmières et infirmiers en 3 ans, et, nous lancerons un appel à la “réserve” des 180 000 soignant·e·s qui avaient rejoint spontanément les hôpitaux pendant la pandémie. L’ensemble des rémunérations des personnels soignants devra être au moins égal à la moyenne de l’OCDE (soit une augmentation d’environ 10% du salaire net des infirmier·e·s).
Nous devons ensuite nous attaquer à l’injustice territoriale des déserts médicaux. Nous proposons le conventionnement sélectif pour limiter les nouvelles installations dans les zones déjà bien pourvues en médecins : un médecin ne pourra s’y installer en étant conventionné que lorsqu’un médecin libéral du territoire cessera son activité. En complément, nous mettrons en place de façon temporaire et transitoire une obligation d’effectuer la dernière année d’internat et les deux premières années d’exercice dans les territoires sous-denses, mesure que nous accompagnerons en favorisant l’installation des médecins et de leur famille. Nous supprimerons réellement le numérus clausus et doublerons les capacités d’accueil des universités de médecine sur le quinquennat. Nous favoriserons de nouvelles modalités d’exercice, sous une forme salariée dans les maisons de santé, prise en charge par l’hôpital du territoire.
Notre système de santé actuel est descendant, centralisateur, trop hospitalo-centré et cloisonné. Pour repenser l’articulation entre l’Etat et les collectivités, notre boussole est un Etat garant de l’équité dans l’accès aux soins et à la prévention pour tous et sur tout le territoire (donc garant d’un financement qui réponde aux besoins ), et des territoires en capacité de piloter une offre de soins et de prévention au plus près des besoins de bassins de population définis à une échelle qui permettent une coordination de proximité, sur la base d’une définition réelle des besoins.
Nous proposons une nouvelle gouvernance territoriale associant la région, que nous doterons d’une compétence en santé, les ARS - dont nous modifions les missions pour les recentrer sur le contrôle et l’évaluation, la déclinaison d’initiatives nationales et la coordination de réponses à des urgences sanitaires- et une nouvelle collectivité de santé à l’échelle d’un territoire de 50 000 à 150 000 personnes qui tiendra compte des spécificités du territoire. Cette collectivité de santé regroupera l’ensemble des institutions et professionnels de santé et une représentation renforcée des usagers.
Chômage - Aides sociales
Quelles sont vos propositions en matière de chômage ? Faut-il revoir la réforme mise en oeuvre par le Gouvernement actuel ?
Je souhaite que cette réforme soit abrogée. Elle est injuste et culpabilisante pour les chômeurs. Elle pénalise les personnes qui n’ont d’autre choix que d’accepter les contrats courts : nous veillerons au contraire à pénaliser les employeurs abusant des contrats précaires, en limitant le recours aux contrats très courts par un système de bonus-malus sur les cotisations patronales
Nous redonnerons à Pôle emploi les moyens et les marges de manœuvre nécessaires pour accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi et veillerons à rompre avec les pressions subies par ses agents (culture du résultat chiffré, multiplication de dispositifs de contrôle et de conditionnement des revenus).
Nous lutterons par ailleurs contre le chômage de longue durée en permettant à tous les territoires volontaires, sans limitation de nombre, d’expérimenter les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD).
Quelles sont vos propositions pour accompagner les personnes en situation de grande précarité ?
Je veux mobiliser la solidarité nationale pour éradiquer la grande pauvreté par la mise en place d’un revenu citoyen. Ce revenu sera versé sans contrepartie à partir de 18 ans à toutes les personnes détachées fiscalement de leurs parents de façon automatique, pour lutter contre le non recours. Il cumulera un revenu de base correspondant au RSA relevé de 560 € à 740 € (670 € en déduisant le forfait logement) et les aides au logement dont le montant moyen versé est proche de 250 € par mois. Ainsi, personne en France ne vivra avec moins de 918 euros par mois, c'est-à-dire en dessous du seuil de grande pauvreté.
Ce revenu citoyen permettra de mettre enfin un terme à la précarité des jeunes, particulièrement touchés par la crise sanitaire.
L’accès à un logement digne est une clé pour lutter contre le sans-abrisme. 300 000 personnes sans domicile, c’est intolérable. Nous sommes un pays riche, prospère, qui dispose de beaucoup de ressources. Je veux donner à l’esprit de solidarité de nos concitoyennes et concitoyens toute la force de s’exprimer. Allons au bout de la logique du “Logement d’abord” inspiré du modèle finlandais : il s’agit d’offrir des solutions pérennes, adaptées aux besoins particuliers des femmes victimes de violences, des familles monoparentales, des personnes en situation de handicap, des plus fragiles, ou victimes de discrimination ou de la prostitution.
Je garantirai aux hébergeurs un financement stable, pluriannuel qui suit l’inflation. Je veux que nous trouvions la meilleure solution pour lutter contre l’exclusion pour cause d’impayés. Je lancerai la construction de 700 000 nouveaux logements sociaux, soit 150000 chaque année - l’équivalent de la ville de Angers ou Dijon.
Grand âge et autonomie
Aujourd’hui, le Grand âge est une problématique qui ne peut plus être éludée du débat public. Quelles sont vos pistes pour accompagner les personnes en situation de perte d’autonomie, tant sur le plan humain que financier ? Comment envisagez-vous de financer cette prise en charge ?
Aujourd’hui notre pays compte 1,4 million de personnes âgées dépendantes et 4 millions de proches aidants, et près de la moitié des Françaises et des Français sont confronté.e.s à la perte d’autonomie d’un.e proche.
Le manque d’attractivité des métiers du secteur du grand âge, services d’aide à domicile ou en institution demeure un facteur important des difficultés chroniques en matière de recrutement. Pour garantir l’accès à un accompagnement bienveillant, bien traitant et adapté aux besoins des personnes en perte d’autonomie, nous développerons les droits à la formation, au répit et à la retraite des proches aidants.
Nous accompagnerons les départements, les communes et intercommunalités qui créeront des maisons des aidants. Nous revaloriserons les salaires, les diplômes et les parcours professionnels liés aux métiers de l’accompagnement à l’autonomie.
Pour les personnels intervenant au domicile des personnes âgées, sera instauré le service à la tournée, le congés en cas de deuil d’un bénéficiaire, une réunion de travail collectif mensuelle d’une durée d’au moins deux heures par intervenant.
Enfin, nous revaloriserons l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour limiter le reste à charge des personnes âgées précaires, notamment dans le paiement des aidants à domicile.
Face aux révélations du livre « Les Fossoyeurs », de Victor Castanet sur le traitement des résidents dans les Ehpad du groupe privé Orpéa, il semble fondamental d’améliorer les conditions de vie des personnes vivant dans ces établissements. Quelles sont vos propositions en la matière ?
Ma priorité sera de mettre un terme définitif à ce modèle inhumain basé sur le court-terme et le profit. Nos anciennes et anciens sont devenu.e.s des produits spéculatifs, et ça ne peut pas durer ! La création de nouveaux Ehpad privés à but lucratif sera interdite. Les établissements existants seront plus strictement contrôlés.
L’accompagnement de nos aînés sera valorisé. Conformément aux recommandations de la Défenseure des droits en 2021, nous veillerons à l’application d’un ratio minimal de 0,8 ETP de personnel par résident, avec l’objectif d’un ratio se rapprochant d’un accompagnant par pensionnaire. Nous nous attacherons à la revalorisation des carrières et l’amélioration des conditions de travail des personnels, grâce au fléchage de 8 à 9 milliards d’euros supplémentaires, financés par une réforme de la fiscalité sur les plus grosses successions.
Vie de l’entreprise
Revalorisation du SMIC, généralisation de l’intéressement, incitations fiscales et sociales en matière d’heures supplémentaires, aides aux indépendants en difficulté… Quelles mesures sociales et fiscales pourriez-vous mettre en place pour valoriser le travail et favoriser la relance de l’économie ?
Revaloriser le travail passe par une action immédiate sur les secteurs d’utilité publique et d’intérêt général liés à la santé, au social, au médico-social et à l’encadrement de la jeunesse, dans le public comme dans le privé. Les travailleurs de ces secteurs sont en très grande majorité des travailleuses, maintenues au bas de l’échelle salariale.
Nous ouvrirons des conférences nationales par branche pour renégocier les grilles salariales et les conditions de travail, les besoins de formation et de compétences, l’adéquation des effectifs dans tous les secteurs concernés.
Plus généralement, nous renforcerons le CDI comme norme, en encadrant les contrats courts et en responsabilisant les employeurs, et limiterons le recours à la contractualisation dans la fonction publique.
La relance de l’économie ne doit pas reproduire les erreurs du passé. La pandémie a aussi généré des dividendes records, bien loin des espoirs du “monde d’après”.
Une bonne part des dépenses de l’État en direction de secteurs fragilisés l’a été sans aucune contrepartie : on ne peut pas continuer comme ça.
À LIRE :
Consultez les programmes en matière de protection sociale de l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle.