Portabilité des droits en prévoyance et liquidation judiciaire : l’avis déroutant de la Cour de cassation

Le maintien des couvertures santé et prévoyance au profit des salariés licenciés pendant une période maximum de 12 mois, appelée « portabilité prévoyance », a donné lieu à des jugements contradictoires des tribunaux, dans le cas où l’entreprise tombe en liquidation judiciaire, sur le point de savoir si l’organisme assureur doit sa garantie alors même que tous les salariés de l’entreprise ont été licenciés dans la perspective de sa disparition prochaine.
La Cour de cassation est intervenue le 6 novembre dernier, non pas dans le cadre d’un arrêt, mais en publiant un avis, suite à une saisine d’un tribunal de première instance. La Haute juridiction considère que la portabilité des droits est applicable aux anciens salariés licenciés d’un employeur en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par la loi tant que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur n’est pas résilié.
Dans un arrêt du 18 janvier 2018, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un mandataire liquidateur qui demandait au juge des référés d’exiger d’un organisme assureur de maintenir la couverture santé prévoyance aux anciens salariés en annulant la résiliation.
Le contexte juridique autour de la question de la portabilité des droits n’est guère favorable aux TPE / PME, comme l’explique Frank Wismer, avocat associé du cabinet spécialisé en protection sociale Fromont Briens.
Previssima. - Le dernier arrêt de la Cour de cassation sur la portabilité des droits a-t-il une signification particulière ?
Frank Wismer. - Non, l’arrêt n'est pas en soi significatif. Il se limite à dire que le juge des référés, c’est-à-dire le juge de l’urgence et des évidences, n’est pas compétent pour trancher la question de fond sur la portabilité des droits en cas de liquidation judiciaire et que, malgré le trouble que cette situation génère, son caractère manifestement illicite n’est pas caractérisé.
Cet arrêt ne prend donc pas position et n’éclaire pas l’avis de la Cour de cassation du 6 novembre 2017, lequel suscite pour beaucoup d’acteurs de l’assurance collective, c'est un euphémisme de le dire, une stupeur certaine.
Où se situe le problème ?
Certains tribunaux ainsi que la Cour de cassation font une lecture contestable de l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale qui organise la portabilité prévoyance, en considérant qu’il régit le contrat d’assurance collective. Mais cet article ne traite que des relations entre l’employeur et ses salariés, en cas de rupture du contrat de travail. Dit autrement, la couverture d’assurance pour les anciens salariés est régie par le seul contrat d’assurance, à défaut de disposition légale spécifique.
Dans son avis du 6 novembre 2017, la Cour de cassation considère qu’en cas de liquidation judiciaire le contrat d’assurance doit être maintenu même si tous les salariés ont été licenciés, sauf si le contrat d’assurance est résilié.
Or, la résiliation pour défaut de paiement de la prime ne trouve pas à s’appliquer pendant la période liquidation judiciaire. C’est donc la clôture de cette procédure aboutissant à la disparition de l’entreprise et donc du contrat d’assurance qui mettra un terme à la couverture.
En pratique, une telle position oblige donc l’organisme assureur à maintenir les couvertures d’assurance aux anciens salariés sans percevoir de prime d’assurance pendant la période de maintien.
Le problème est qu’aujourd’hui, certains assureurs ont prévu dans leurs contrats des clauses organisant la portabilité des droits en stipulant une limite de départ de salariés dans une période donnée, au-delà de laquelle la garantie n’est plus due sauf règlement d’une prime d’assurance spécifique. La question est donc de savoir si, à présent, ces clauses de limitation du maintien de garanties restent valables, alors même que la Cour de cassation a mentionné dans une notice explicative jointe à l’avis de novembre 2017 que l’article L.911-8 du Code de la Sécurité sociale s’applique aux organismes assureurs et donc les oblige, ce qui, nous l’avons dit, n’est pas le cas. Déférence gardée pour la Haute juridiction, on est donc bien obligé de constater qu’elle fonde sa solution sur une base juridique non valable.
Cela peut-il entraîner des conséquences en matière de tarification des garanties pour les entreprises ?
La réglementation prévoit que l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire n’est pas un motif de résiliation du contrat d’assurance. Les organismes assureurs seront donc peut-être contraints d’intégrer dans leur tarification la probabilité d’une obligation de couverture sans règlement de prime. Si augmentation il doit y avoir, il faudra apprécier si seules les petites entreprises sont concernées car étant les plus exposées au risque de liquidation, ou si ce surcoût sera « lissé » sur tout le portefeuille des organismes assureurs.