Philippe Pihet : « le système des retraites actuel est à l’équilibre »

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Philippe Pihet : « le système des retraites actuel est à l’équilibre »
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Après des mois de concertations, paraissait le 18 juillet dernier le Rapport Delevoye, refermant les préconisations du Haut-commissaire du même nom, visant à mettre en œuvre un système universel de retraite dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2025.

Parmi les grands principes de cette réforme systémique : un régime unique par points conduisant à la disparition des 42 régimes spéciaux ; le mantra « un euro cotisé ouvre les mêmes droits à tous » ; une cotisation unique fixée à 28,12 % ; un âge d’équilibre de 64 ans ; des droits à réversion modifiés ; etc.

Face à tant de bouleversements manifestes, l’Exécutif allait indéniablement se heurter à des oppositions. Aussi, véritable bloc hétéroclite, les partenaires sociaux, professions libérales, organisations professionnelles et autres assurés des régimes spéciaux, se tiennent vent debout contre une réforme dont ils ne veulent pas, certainement pour autant de raisons qu’il y a de situations disparates. Alors, face à un gouvernement qui avance à pas feutrés, tentant de calmer la colère des opposants à travers de nombreuses concertations, ceux-ci fourbissent leurs armes et multiplient les appels à manifester. Parmi eux, Force ouvrière. Par la voix de Philippe Pihet, Secrétaire confédéral au Secteur des Retraites et de la Prévoyance complémentaire, le syndicat a confié à Previssima, les raisons de sa vive opposition au projet de réforme.

Previssima - L’âge d’équilibre de 64 ans, préconisé par le Rapport Delevoye, constitue en réalité un âge de départ à taux plein ?

Lors de son discours du 12 septembre devant le CESE, le Premier ministre a admis qu’il faudrait travailler plus longtemps. Il a évoqué l’âge d’équilibre ou âge pivot de 64 ans, et a transformé l’âge légal de départ fixé à 62 ans en âge minimal de départ. Je suis donc intimement persuadé que l’on va sur un recul de l’âge effectif de départ en retraite.

Pour le Régime général, qui représente tout de même 18 millions d’actifs, nous voyons des pièces de puzzle qui commencent à s’emboîter et qui pourraient donner lieu à une situation absolument catastrophique au niveau du taux de remplacement, c’est-à-dire un âge d’équilibre reculé, une durée d’activité allongée et une référence non pas aux 25 meilleures années mais à l’intégralité de la carrière. Se cumuleront alors tous les facteurs bloquants de chaque mécanisme, ce qui provoquera une chute considérable des taux de remplacement.

Justement, sur la question de cette référence à l’intégralité de la carrière, quel impact aura-t-elle ?

Si l’on se base sur les 25 meilleures années, mécaniquement, on enlève les 17 moins bonnes ; si vous prenez l’ensemble de la carrière, vous ne pouvez logiquement pas obtenir le même résultat en moyenne.

Pour prendre conscience des dommages que pourraient provoquer une référence à l’ensemble de la carrière, prenons l’exemple du temps partiel subi - qui est 80 % féminin tout de même. C’est une réalité : dans le privé, après une deuxième maternité, une jeune femme rencontre de nombreuses difficultés à retrouver son niveau de salaire antérieur. À défaut de trouver un emploi à temps plein, elle se rabat sur un mi-temps : si, lorsqu’elle travaillait avant sa maternité, elle générait des cotisations pouvant lui permettre par exemple d’acheter 100 points, en cas d’emploi à mi-temps 1 an après, elle pourra seulement acheter 50 points et puis les 50 points manquants, elle ne les reverra jamais ; alors que dans le système basé sur les 25 meilleures années, on peut imaginer que ces années de temps partiel subi passent à la trappe et donc, que ça conforte quand même son salaire annuel moyen. Ce système n’avantage personne et ce sont les femmes qui paieront le plus lourd tribut

Selon vous, y avait-il nécessité à réformer aussi profondément le système de retraite ? Qu’auriez-vous fait à la place du gouvernement ?

Le Rapport Delevoye appelle cela un régime universel, mais les mots revêtent une importance : aujourd’hui la retraite en France est universelle. Universelle, parce que toutes les catégories de la population peuvent prétendre à une retraite ; qu’elle ne soit pas traitée de la même manière, c’est un autre sujet. La réalité, c’est que l’on tend plutôt vers un système unique.

Je le dis clairement, à travers cette réforme, le Président de la République veut se « payer » les fonctionnaires et les régimes spéciaux et comme en plus, il n’a pas les moyens financiers de le faire, il veut siphonner les réserves du privé.

Surtout, l’un des objectifs cachés de la réforme est de limiter la part des retraites à 12 points de PIB contre 13,8 actuellement. Concrètement, le gouvernement est en train de décider que pendant les 30 prochaines années, il ne mettra plus un centime dans le financement des retraites. Dans ses prévisions, le COR annonce qu’il manque 10 milliards pour que le régime soit à l’équilibre ; est-ce qu’on ne trouve pas 10 milliards dans la productivité ? C’est donc une réforme politique avant tout.

Pour notre part, nous considérons que le système des retraites actuel est à l’équilibre et qu’il n’y a pas nécessité de mettre le feu dans le pays. Selon les études, le taux de remplacement moyen, quel que soit le statut, est situé entre 73 et 76 %, ce qui est acceptable.

Par ailleurs, nous sommes opposés à l'idée d'un régime intégral par point. Nous aurions conservé un régime de base et des régimes complémentaires.

Le Rapport contient déjà des valeurs d’achat et de service du point. Est-il possible de faire une prévision si précoce ?

Le Rapport indique que la valeur d’achat du point est arrêtée à 10 euros ; la valeur du service à 0,55 euros. Ce ne sont que des prévisions : on ne connaîtra pas la véritable valeur du point avant 2024. J’ai été président de l’ARRCO pendant assez longtemps pour être au fait des rouages du système : aujourd’hui avec l’AGIRC-ARRCO, nous venons de fixer pour 3 ans les valeurs d’achat et de service du point et encore, nous prenons des précautions, nous ne faisons pas de prévisions sur 5 ans et d’ailleurs, il n’y a aucun économiste digne de ce nom qui ferait des prévisions sur la valeur d’achat à 5 ans.

La réforme modifiera les droits à réversion avec des gagnants et des perdants. Qu’en pensez-vous ?

Aujourd’hui, selon les régimes, la pension de réversion est fixée à 50 %, 54 % ou 60 % ; alors, le taux de 70 % prévu dans le nouveau régime pourrait représenter une amélioration, sauf qu’il est question de 70 % des revenus du couple. Et dans le nouveau régime, si l’épouse disparaît avant son mari, celui-ci n’obtiendrait rien alors qu’il aurait peut-être pu prétendre à 300 ou 400 euros avec l’ancien système. Calculer la pension sur la base de 70 % des revenus du couple, reviendrait à une baisse du montant de la pension de réversion.

La réforme prévoit l’instauration d’un taux unique de cotisation retraite fixé à 28,12 %. Quelles seraient les conséquences du passage à un taux unique ?

Ce taux de cotisation unique de 28,12 % va impacter les indépendants, les libéraux, qui eux n’en veulent pas, le taux étant trop élevé.

Concrètement, jusqu’à 3 plafonds de la Sécurité sociale (environ 10 000 € bruts/mois), le taux s’élève à 28,12 % et au-delà, il y a une cotisation déplafonnée de 2,81 % qui ne génère donc pas de droits.

Si l’on regarde dans le détail, on ne pourra jamais taxer les agriculteurs à 28,12 % alors que certains reçoivent parfois des paies négatives. Le gouvernement explique alors que le régime agricole va monter en charge doucement ; on peut imaginer une durée de 15 ans. Et pendant ces 15 ans-là, ceux qui vont basculer dans la retraite vont-ils bénéficier du 85 % du SMIC ? Un euro cotisé à 14 % devrait-il avoir le rendement de un euro cotisé à 28 % ?

Autre exemple, le régime des commerçants : schématiquement, lorsque vous vous lancez dans le commerce jeune, votre souci premier est que votre entreprise tourne, vous choisissez donc une tranche de cotisation retraite basse et au fur et à mesure, si votre entreprise fonctionne, vous augmentez votre cotisation. Mais avec un taux de cotisation unique, comment fait-on ? Le gouvernement explique que le taux unique ne sera pas appliqué immédiatement. Dans ce cas-là, quel taux leur attribue-t-on ? Et s’ils changent de profession, appliquera-t-on les 28,12 % dans la nouvelle ? Cela ne tient pas la route.

Vous avez appelé au rassemblement le 21 septembre dernier, avez-vous fait entendre vos revendications ?

Le 21 septembre a eu lieu un rassemblement adhérent et militant pour démarrer la campagne d’opposition à la réforme. C’était une manière lancer la communication nationale sur le rejet de la reforme ; 15 000 personnes étaient présentes à nos côtés. Nous verrons à terme quel impact aura la mobilisation ; nous avons pu avoir un aperçu avec la grève du 13 septembre à la RATP mais aussi avec celle des cheminots, qui perturbe actuellement fortement le trafic SNCF. Nous restons très vigilants et mobilisés et bien entendu, nous irons à la grève s’il le faut.

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