Paradis fiscaux : l’UE met à jour la liste noire des États qui ne respectent pas les standards

Le Conseil de l'Union Européenne vient d’effectuer sa mise à jour biannuelle de la liste noire des paradis fiscaux, c’est-à-dire des états et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale. L’occasion de faire un point sur la nature des paradis fiscaux, notamment au regard de la loi française et des organismes internationaux.
Paradis fiscaux : de quoi parle-t-on ?
Les paradis fiscaux sont des juridictions qui offrent des avantages fiscaux considérables aux entreprises et aux particuliers, notamment grâce à une fiscalité réduite, un cadre réglementaire souple et une grande discrétion financière. Bien que pouvant être légaux, ils sont souvent associés à des pratiques d’optimisation fiscale agressive, d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent, suscitant des controverses et appelant à des efforts de régulation internationale.
Le terme de « paradis fiscal » ne possède pas de définition juridique universelle. Toutefois, des organismes internationaux tels que l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) ont établi des critères pour les identifier :
- Taux d’imposition très bas voire nul sur les sociétés, les dividendes et les plus-values : en imposant pas ou peu les revenus, les paradis fiscaux attirent des entreprises et des particuliers qui souhaitent réduire leur charge fiscale ;
- Secret bancaire et discrétion, qui garantissent l’anonymat des exilés fiscaux ;
- Opacité des informations avec les autres États : la plupart du temps, les paradis fiscaux refusent de coopérer avec les administrations fiscales d’autres pays, freinant ainsi la lutte contre l’évasion fiscale ;
- Faible exigence sur l’activité économique réelle, permettant aux entreprises de se domicilier sans qu’une présence ou activité économique substantielle soit nécessaire sur le territoire.
Les ETNC, États ou territoires non coopératifs
En France, le Code général des impôts n'utilise pas explicitement le terme « paradis fiscal ». À la place, l'article 238 A fait référence aux « États ou territoires non coopératifs ». Un État ou territoire est qualifié d'ETNC s'il remplit les conditions suivantes :
- Il n’est pas membre de l'Union européenne au 1er janvier de l'année en cours ;
- Il n’a pas signé de convention d'assistance administrative avec la France : le pays n'a pas conclu de convention permettant l'échange de renseignements fiscaux avec l’Hexagone ;
- Son évaluation par les organismes internationaux a été défavorable : le territoire a été examiné par l'OCDE et été considéré comme ne respectant pas les standards internationaux en matière de transparence et d'échange d'informations fiscales.
Le saviez-vous ?
Une société écran est une entreprise créée uniquement sur le papier, sans véritable activité économique. Elle peut être enregistrée dans un pays où les règles fiscales et de transparence sont faibles, et ne possède généralement ni employés, ni véritable infrastructure.
Une société écran n’exerce aucune activité commerciale ou industrielle réelle, mais sert de façade pour des transactions ou des opérations financières. Son but est principalement de masquer l’identité des véritables propriétaires ou bénéficiaires, qui peuvent rester anonymes en utilisant des prête-noms ou des structures de propriété. Les sociétés écrans sont souvent utilisées pour faciliter des activités comme le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale ou le transfert de fonds entre différents pays de manière opaque. Bien que leur création ne soit pas nécessairement illégale, leur utilisation peut l’être si elles servent à dissimuler des pratiques frauduleuses ou à contourner les lois fiscales |
Paradis fiscaux : quels sont les pays concernés ?
Actuellement, la liste noire comprend 11 États et territoires :
- Samoa américaines ;
- Fidji ;
- Anguilla ;
- Guam ;
- Panama ;
- Palaos ;
- Samoa ;
- Russie ;
- Trinité-et-Tobago ;
- Îles Vierges américaines ;
- Vanuatu.
Cette liste est mise à jour deux fois par an par le Conseil de l’UE. Lors de la dernière révision du 18 février 2025, aucun pays n'a été ajouté ou retiré.
Les conditions légales d’installation en ETNC
Il est légalement possible de s’installer dans un pays figurant sur la liste noire, mais sous certaines conditions :
- Le contribuable doit prouver que son installation est motivée par des raisons économiques réelles et non par un objectif d’évasion fiscale ;
- Les Français qui transfèrent leur résidence fiscale dans un paradis fiscal restent soumis à certaines obligations, comme « l’exit tax » sur les plus-values latentes ;
- L’administration fiscale française peut contester un « exil fiscal artificiel » et imposer une taxation en France, notamment si elle démontre que la personne conserve des attaches économiques significatives dans l’Hexagone.
Les pays de l’UE : grands oubliés de la liste noire des paradis fiscaux ?
Si depuis 2017, l’Union européenne établit cette liste noire des paradis fiscaux, elle exclut certains États membres de l’UE qui offrent pourtant des régimes fiscaux particulièrement avantageux. Quelques exemples.
Le Luxembourg
Le Luxembourg demeure l’un des principaux paradis fiscaux mondiaux, attirant chaque année des dizaines de milliards de dollars de bénéfices transférés par les multinationales. En 2020, il figurait à la cinquième place des territoires recevant le plus de profits détournés, avec 49 milliards de dollars. Malgré les critiques et les efforts affichés pour améliorer la transparence fiscale, le pays reste une plaque tournante de l’optimisation fiscale en Europe.
Les Pays-Bas
Selon l’ONG Oxfam, les Pays-Bas figurent parmi les paradis fiscaux les plus notables. Grâce à des dispositifs comme le « sandwich néerlandais», les multinationales y font transiter leurs bénéfices afin d’échapper à l’imposition d’autres juridictions. Ce mécanisme repose sur des conventions fiscales avantageuses et des failles réglementaires qui permettent un transfert quasi total des profits vers des pays à fiscalité nulle.
Le saviez-vous ? Il existe même une stratégie d’optimisation fiscale appelée la technique du « Double irlandais » avec un sandwich hollandais, utilisée par certaines multinationales pour réduire drastiquement leur imposition. Elle repose sur un enchaînement de filiales situées en Irlande et aux Pays-Bas, permettant de transférer des bénéfices vers des paradis fiscaux. L’Irlande joue un rôle clé grâce à son faible impôt sur les sociétés, et des régulations favorisant l'évitement fiscal. Cette technique consiste à faire transiter les bénéfices d’une entreprise via deux filiales irlandaises (le «double irlandais »), en utilisant une société écran aux Pays-Bas pour éviter certaines taxes (le «sandwich hollandais »), avant de rediriger l’argent vers un paradis fiscal, comme les Bermudes, où il ne sera presque pas imposé. Certaines réformes internationales ont permis de limiter ces pratiques dites d’optimisation agressive, qui représentent un manque à gagner considérable pour les États. |
La Suisse
Bien qu’elle n’ait jamais figuré sur la liste noire de l’UE, la Suisse est souvent considérée comme un paradis fiscal, principalement en raison de son secret bancaire et de sa fiscalité attractive pour les entreprises et les grandes fortunes.
Jusqu’aux années 2010, elle était connue pour son secret bancaire absolu, inscrit dans la loi de 1934, empêchant les autorités étrangères d’accéder aux informations sur les comptes bancaires suisses. Elle offrait également des taux d’imposition attractifs, notamment pour les grandes entreprises et les holdings, ainsi que la possibilité pour des non-résidents de détenir des comptes bancaires anonymes.
Depuis 2009, sous la pression du G20, de l’OCDE et de l’UE, la Suisse a progressivement abandonné ses pratiques les plus opaques. En 2014, elle a signé l’accord sur l’échange automatique d’informations fiscales avec l’OCDE, mettant fin au secret bancaire (application depuis 2018). En 2019, elle a réformé son système fiscal en supprimant certains régimes préférentiels pour les multinationales. Plus récemment, en 2023, elle a adopté les nouvelles règles de l’OCDE sur l’impôt minimal de 15 % pour les grandes entreprises.
Grâce à ces réformes, la Suisse est aujourd’hui considérée comme un pays fiscalement coopératif. Toutefois, certains estiment que ses pratiques restent encore favorables à l’optimisation fiscale, ce qui continue d’alimenter le débat sur l’équité de son modèle fiscal.
Quelques chiffres pour comprendre l’évasion fiscale
L’évasion fiscale représente un manque à gagner majeur pour les États, avec une perte annuelle mondiale estimée à 427 milliards de dollars, selon le Tax Justice Network (chiffres mis à jour en 2022).
Les multinationales seraient responsables de plus de la moitié de cette évasion fiscale, détournant environ 1 380 milliards de dollars de bénéfices vers des paradis fiscaux, ce qui entraînerait une perte fiscale de 245 milliards de dollars dans le monde. Les exils fiscaux des particuliers représenteraient de leur côté 182 milliards de dollars, avec la dissimilation de près de 10 000 milliards de dollars d’actifs financiers à l’étranger. Face à ces chiffres éloquents, les appels à une réglementation plus stricte se multiplient, notamment lors des sommets internationaux comme celui du G20.