Nouvelle campagne de contrôle des arrêts maladie : les médecins généralistes dans le viseur de l’Assurance maladie

L’Assurance maladie a lancé une nouvelle campagne de contrôle incitant 500 médecins généralistes, dont le taux de prescription d’arrêts maladie est jugé trop élevé, à réduire leur volume d’arrêts annuels.
Une mesure qui provoque une vive opposition au sein de la profession médicale.
Jusqu’à 20 % de baisse du nombre d’arrêts exigée ?
L’Assurance maladie a donc identifié environ 500 praticiens dont le volume d’arrêts maladie prescrits pour les patients actifs, en particulier les arrêts de longue durée, est supérieur aux moyennes observées dans leur région ou spécialité - le taux est comparé à celui de confrères exerçant dans des zones géographiques aux caractéristiques socio-économiques similaires (revenus moyens, taux de chômage, niveau d’études...), afin de réduire les biais liés à la patientèle.
Concrètement, l’organisme contactera ces praticiens pour engager une « mise sous objectif » en vigueur à partir du 1er septembre 2025, c’est-à-dire une procédure contractuelle par laquelle le médecin s’engage à réduire son volume annuel de prescriptions d’arrêts de travail. Une seconde vague est prévue pour le 1er janvier 2026.
La Cnam précise que sont ciblés les praticiens dont les prescriptions sont au moins deux fois supérieures à la moyenne de leurs pairs, et que ceux qui ont déjà été soumis à une mise sous objectif ou à un entretien dans le passé sont traités en priorité.
Selon le syndicat MG France, la mise sous objectif imposerait aux médecins de réduire leurs prescriptions d’arrêts de travail d’environ 20 %. Il faut savoir que le praticien a le droit de refuser la mise sous objectif, auquel cas il sera placé sous accord préalable, ce qui signifie que chacun des arrêts qu’il prescrira devra être validé par un médecin-conseil de l’Assurance maladie.
Une campagne perçue comme déshumanisante
Mais cette nouvelle campagne est loin de faire consensus. Les syndicats médicaux MG France, CSMF, FMF et SML dénoncent une méthode qu’ils estiment fondée uniquement sur des données statistiques : « On tape sur les médecins au lieu de travailler sur la pertinence des arrêts », déplore Sophie Bauer, présidente du SML.
Pour Agnès Giannotti, présidente de MG France, cette campagne cible exclusivement les arrêts longs, sans prendre en compte la réalité du terrain : « Vous imaginez bien qu'un médecin généraliste dans son cabinet ne va pas arrêter sur une longue durée quelqu'un qui n'en a pas besoin. Il ne s'agit ni de fraude, ni d'abus, mais de patients qui en ont besoin et pour lesquels nous sommes coincés ». Lors d’une conférence de presse, elle affirme que dans la majorité des cas, les prescriptions sont justifiées par l’état de santé du patient, et qu’une réduction imposée n’entraînerait qu’un refus de prise en charge adéquate du patient, à laquelle il a pourtant droit.
Un contexte de suspicion de fraude
En 2024, la Cnam avait déjà mené 680 000 contrôles, dont 230 000 avec examen médical, aboutissant à 7 000 sanctions. Par ailleurs, une nouvelle réglementation limite désormais les arrêts en téléconsultation à trois jours si le médecin n’est pas traitant. Enfin, le plafond des IJ a été abaissé à 41,47 € par jour depuis avril 2025.
Pour MG France, ces mesures contribuent à un climat de méfiance et d’épuisement. Une enquête qualitative, menée par le syndicat auprès de médecins visés par une procédure de mise sous accord préalable, montre que 100 % d’entre eux ont ressenti de l’anxiété lors de nouvelles prescriptions, et 60 % ont présenté des signes de burn-out. « Est-ce que c’est normal d’éprouver de l’anxiété pour prescrire un soin qui est l’arrêt de travail ? », questionnait alors la Dre Guylaine Ferré.
La bonne méthode face à la hausse des dépenses ?
Les dépenses liées aux indemnités journalières augmentent chaque année de 5 à 8 % selon la Cnam. Une partie de cette progression est attribuée au vieillissement de la population et aux conditions de travail dégradées dans certains secteurs (santé, social, BTP), mais près de 40 % de la hausse resterait selon elle « inexpliquée ». Des chiffres sur lesquels l’Assurance maladie se base pour intensifier ses contrôles.
De leur côté, les syndicats rétorquent en expliquant ces chiffres par :
- La revalorisation des salaires, augmentant mécaniquement le montant des IJ ;
- La hausse des troubles psychiques et de la souffrance au travail;
- Les difficultés d’accès à certains spécialistes, qui oblige les généralistes à prolonger les arrêts ;
- Le manque de rapidité dans la reconnaissance d’une invalidité par l’Assurance maladie, qui pousse les médecins à multiplier les arrêts temporaires ;
- L’apparition du Covid long, qui toucherait près de 2 millions de personnes actuellement.
Les syndicats appellent à un refus des mises sous objectif
Pour la profession médicale, cette démarche s’apparente donc à une nouvelle « chasse aux arrêts maladie ». En ciblant les médecins, les syndicats estiment que l’on fait porter à la profession la responsabilité de l’augmentation des dépenses, sans réelle réflexion sur les causes profondes de la multiplication des arrêts.
Les syndicats appellent ainsi les médecins concernés à refuser les mises sous objectif, malgré les conséquences administratives et professionnelles qui peuvent en découler.
L’opération « Transparence IJ »
Par ailleurs, lors d’un congrès au Havre en présence de la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, le syndicat MG France a lancé l’opération « Transparence IJ ». Cette campagne s’adresse autant aux assurés qu’aux professionnels, pour dénoncer ce que le syndicat qualifie de « délit statistique », où des algorithmes dénoncent des « sur-prescripteurs ». Le syndicat propose notamment :
- Des outils d’aide à la justification des arrêts dans les cas complexes ;
- Le recours au service SOS IJ, pour solliciter un avis du service médical de la Cnam ;
- Des supports pédagogiques à destination des patients, pour mieux comprendre les enjeux actuels de santé au travail : « Il s’agit d’affiches à mettre dans les salles d’attente ou de fiches d'information à remettre aux patients pour leur expliquer que la campagne de la Cnam remet en cause nos prescriptions qui sont nécessaires pour leur état de santé », explique Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France.
Par ces résistances, les syndicats espèrent trouver un juste équilibre entre conscience budgétaire, confiance envers le corps médical et prise en compte des causes systémiques des arrêts.