Marie-Anne Montchamp : « Il faut aller chercher de nouvelles voies de financement de l’autonomie »

PUBLIÉ LE :
Marie-Anne Montchamp : « Il faut aller chercher de nouvelles voies de financement de l’autonomie »

Alors que le vieillissement de la population française conduira, dans les années à venir, à une explosion du nombre de personnes âgées, se pose la question du financement de la perte d’autonomie, dans un contexte où la grande majorité des Français souhaitent vieillir à domicile.

Sur le sujet, les pouvoirs publics ont pris des engagements, à travers la loi du 7 août 2020 créant une 5e branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, ou encore la loi du 8 avril 2024 portant des mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie.

Pour Marie-Anne Montchamp, directrice générale de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (OCIRP), partenaire de l’Institut de la protection sociale (IPS), il faut aller beaucoup plus loin sur la question de la prise en charge de l’autonomie, à travers la mise en œuvre d’un modèle systémique. Entretien.

Vieillissement de la population et perte d’autonomie, quels sont les grands défis qui nous attendent sur ces thématiques ?

Le défi est planétaire, européen et français. L’objectif est de faire en sorte d'éviter un effondrement économique et social lié aux effets du vieillissement. Par quels biais ? Par un comportement lucide des acteurs, par une anticipation des risques et par la mise en place de politiques publiques appropriées.

Si l’on ne peut certes pas lutter contre l'évolution démographique, il est possible de travailler sur les conditions de ce phénomène.

Prenons l’exemple de la transition climatique : à travers des politiques publiques extrêmement volontaristes, nous avons pris des options pour limiter les conséquences du réchauffement climatique. Ainsi, dans le secteur du bâtiment, le décret tertiaire (article 175 de la loi Élan NDLR) impose des normes extraordinairement exigeantes et contraignantes pour faire face aux objectifs de l'Accord de Paris. En revanche, on ne retrouve pas la même exigence sur la politique du logement en matière de prise en compte des usages des occupants vieillissants. Idem dans le champ de l'emploi, du travail et de la retraite.

Nous n'avons pas fait le même effort sur le vieillissement, alors que c’est une autre des grandes transitions économiques. En effet, celui-ci affecte tout autant notre système de production, notre système économique, mais aussi notre capacité à maintenir un niveau de croissance compatible.

De mon point de vue, toutes les politiques publiques sont invitées à se repenser à la lumière de la transition démographique, en intégrant la question du vieillissement dans leur feuille de route.

En résumé, je pense que nous devons être extraordinairement résilients et lucides, et que cela doit nous conduire au niveau d'anticipation nécessaire d'un mouvement inéluctable. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous ne nous donnons pas toutes les chances.

La 5e branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, créée en 2020, apporte-t-elle un début de solution, selon vous ?

La création d'une cinquième branche de la Sécurité sociale constitue un acte fondateur dans notre système de protection sociale, en ce qu’elle intègre aux grands risques abordés par la Sécurité sociale, l’enjeu supplémentaire du vieillissement.

En cela, elle représente un progrès extraordinaire, même si aujourd'hui, son périmètre budgétaire (près de 40 milliards d’euros NDLR) reste en deçà des besoins.

Cela appelle donc une réflexion sur le fond, c’est-à-dire sur la capacité de la nation à augmenter son effort en faveur du vieillissement. Et c'est là que les choses deviennent intéressantes. Est-il pertinent de rester sur la même ingénierie de financement pour ce risque-là que celle qu'on connaît pour les autres grands risques ? La santé avec les financements de type parafiscaux, la retraite avec notre système par répartition, et les autres risques financés par le travail à travers les cotisations sociales ?

D’après moi, sur la question de l'autonomie, il faut aller chercher de nouvelles voies de financement, les modèles fiscaux et sociaux étant arrivés au maximum de leur capacité à produire des ressources.

Quelles seraient ces nouvelles voies de financement de l’autonomie ?

Il faut s’interroger sur la capacité de nos concitoyens à dégager des possibilités de financement par eux-mêmes pour tout ce qui va relever de leur liberté de choix, et qui ne peut pas dépendre de la solidarité nationale ou de la mutualisation.

C'est dans ce cadre que la fonction de l'épargne, du droit à l'épargne et de la capacité à épargner pour tous, quel que soit le niveau de revenus, doit devenir un objet de travail, de recherche et de dialogue social. C'est cette troisième voie qu'il nous faut aujourd'hui être capables de mobiliser.

Il faut savoir qu’aujourd’hui, dans notre pays, l'épargne est mal orientée. Dans le champ de l’assurance vie en particulier, elle n'est dirigée que par les choix de ceux qui gèrent les fonds de l'assurance-vie, à des fins de les faire prospérer.

Il faudrait mettre en place, dans le champ du collectif notamment, des systèmes incitatifs de l'épargne, qui permettent ensuite de libérer cette épargne sous conditions, afin qu'elle soit utilisée pour les circonstances de la vie qui, au-delà de 75 ans, appellent des besoins de financement spécifiques.

Je défends un modèle systémique qui est celui de la mobilisation et du fléchage de l'épargne et de la capacité à soutenir l'épargne de l'ensemble des salariés français, avec un mécanisme de solidarité pour les salariés aux revenus faibles.

Le 19 novembre dernier, lors du colloque Défi Autonomie, vous avez appelé à la mise en œuvre d’une politique rénovée de prise en charge de la dépendance, à travers une loi de programmation sur le vieillissement. Qu’attendez-vous d’un tel texte ?

Il est essentiel d’avoir une loi réformatrice sur la politique de l’âge pour répondre aux défis du vieillissement.

En 2027, nous devrons être extrêmement exigeants sur les programmes des candidats à la présidentielle, en nous assurant que cette préoccupation est intégrée à sa juste exigence.

Ne pas mettre en œuvre une loi de programmation sur le vieillissement reviendrait à pénaliser notre système de sécurité sociale et donc notre futur développement économique : charges sociales gigantesques et disproportionnées, incompréhension de nos concitoyens et sentiment d’injustice, ralentissement économique.

Les mesures prises récemment, avec la création de la 5e branche de la Sécurité sociale ou la loi Bien vieillir de 2024 - qui revalorise les métiers du grand âge et renforce les droits et la protection des personnes âgées - demeurent insuffisantes pour répondre aux difficultés immédiates et, plus encore, pour faire face au défi démographique.

Nous devons prendre des options structurelles pour une programmatique politique qui prend en compte le vieillissement, c'est possible.

90 % des Français plébiscitent le maintien à domicile en cas de perte d’autonomie. Quelles sont les conditions nécessaires à la réalisation de ce virage domiciliaire ?

La notion du maintien à domicile est intéressante, mais c’est un élément de langage. En réalité, il s’agit d’un accompagnement à domicile dans le cadre d’une situation dans laquelle la personne dispose de services et d'aides adaptées à ses besoins.

Nos concitoyens souhaitant le maintien à domicile ne veulent pas être arrachés de chez eux pour rejoindre une structure institutionnelle qui ne représente rien pour eux et qui les prive de leur liberté de citoyen.

Pour favoriser le maintien à domicile, nous avons besoin de toute une économie avec des acteurs privés, des acteurs non lucratifs et des acteurs associatifs qui apporteraient des réponses agencées, progressives pour la personne selon l’évolution de sa situation.

La question de l'attractivité des métiers du Grand Âge constitue un vrai sujet. Il faut là aussi que nos politiques publiques soient conséquentes. A titre d’exemple, le secteur de l'aide à domicile est sous tension. Ces métiers souffrent d’une image peu attractive, avec des salaires très faibles, des personnels très isolés et qui prennent des risques importants dans leur métier.

Dans ce cadre, ne pas traiter la question du financement et du reste à charge est critique parce que cela constitue un risque collectif et individuel intenable, qui pèse sur un secteur vital pour nos équilibres économiques, sociaux et sociétaux.

Cet article issu de Previssima.fr est soumis au droit d'auteur, protégé par un logiciel anti-plagiat. Toute reproduction, rediffusion ou commercialisation totale ou partielle du contenu, sans l’autorisation expresse de la société Previssima, est interdite. Les informations diffusées sur Previssima.fr (hors forum) sont toutes vérifiées par un service juridique spécialisé. Toutefois, Previssima ne peut garantir l'exactitude ou la pertinence de ces données. L'utilisation des informations et contenus disponibles sur l'ensemble du site ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité de Previssima.