Maladie professionnelle et inaptitude : la reconnaissance par la Sécurité sociale ne suffit pas

Dans son arrêt n° 23-19.841 du 10 septembre 2025, la Cour de cassation rappelle que la reconnaissance d’une maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) n’est pas, à elle seule, la preuve de l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié.
Seul le juge prud’homal, au vu de l’ensemble des éléments fournis par les parties, est habilité à trancher sur cette question.
Le principe d’inopposabilité de l’employeur
Lorsque la CPAM reconnaît une maladie comme professionnelle, cette décision s’impose au salarié, qui bénéficie alors des droits « attachés à la reconnaissance » : meilleure indemnisation pendant l’arrêt de travail, prise en charge des soins à 100 %, éventuelle rente…
Toutefois, cette même décision n’est pas automatiquement « opposable » à l’employeur. En d’autres termes, l’entreprise peut toujours contester le fait que l’inaptitude du salarié découle de cette maladie - même si la CPAM l’a prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles.
Si la décision de la CPAM était opposable à l’employeur, cela voudrait dire que l’entreprise serait obligée de reconnaître la maladie comme professionnelle, sans possibilité de contestation. Or, le droit dit le contraire : la décision de la CPAM ne s’impose pas automatiquement à l’employeur. On dit donc qu’elle est inopposable. |
L’employeur peut alors présenter des éléments (certificats médicaux, historique du poste, conditions de travail, conditions d’exposition, expertises…) pour démontrer que l’inaptitude ne résulte pas de l’environnement de travail. C’est ensuite au juge de décider si cette dernière doit ou non être considérée comme d’origine professionnelle.
Un droit maintenu pour le salarié
L’inopposabilité ne ferme pas la porte au salarié : celui-ci conserve la possibilité de faire valoir devant le juge l’origine professionnelle de son inaptitude, afin de bénéficier du régime protecteur prévu par le Code du travail (procédure renforcée de licenciement, indemnités majorées...).
Le cas à l’origine de l’arrêt
L’affaire en question concernait un salarié de l’usine Sylvamo France. Employé dans le secteur de la finition, il travaillait dans un environnement où des poussières de papier étaient présentes - bien que les concentrations mesurées restaient inférieures aux valeurs limites d’exposition. En 2016, le salarié a été placé en arrêt pour une péricardite et une fracture du poignet, sans rapport avec une quelconque allergie.
Jusqu’alors, les visites médicales périodiques n’avaient révélé aucune sensibilité particulière aux poussières. Ce n’est qu’en 2018, alors qu’il est éloigné de l’entreprise depuis près de trois ans, que le salarié déclare une maladie professionnelle pour rhinite allergique. La CPAM reconnaît ladite maladie en 2019, sur la base d’un certificat médical établi après plusieurs années sans exposition au risque.
Lorsque le salarié retourne au travail, le médecin du travail le déclare inapte, avec contre-indication aux poussières. Le salarié saisit alors le conseil des prud’hommes, estimant que son licenciement devait être prononcé pour inaptitude professionnelle, ce qui ouvre droit à des indemnités et un statut particulier.
Une demande rejetée par la Cour d’appel
La cour d’appel de Limoges rejette sa demande : la rhinite allergique n’avait jamais été constatée avant l’arrêt de 2016, aucun élément n’atteste de symptômes antérieurs, et le certificat de 2019 semble trop tardif pour établir un lien direct avec l’activité professionnelle.
La Cour de cassation valide ce raisonnement : la maladie ne semble pas directement causée par le travail habituel du salarié, et la reconnaissance par la CPAM ne suffit pas à prouver le caractère professionnel de l’inaptitude.
L’importance du juge prud’homal
Cet arrêt de la Cour de cassation confirme la possibilité, pour l’employeur, de contester l’origine professionnelle d’une inaptitude malgré la reconnaissance d’une maladie par la Sécurité sociale. De l’autre côté, il rappelle au salarié l’importance d’apporter des preuves solides, qui établissent un lien direct entre sa pathologie et ses conditions de travail.
En définitive, la décision de la CPAM n’est qu’un élément parmi d’autres. La véritable décision reste entre les mains du juge, qui apprécie l’ensemble des faits pour déterminer si l’inaptitude doit être considérée ou non comme professionnelle.