Majoration Urssaf pour retard : un revirement important de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 10 avril 2025, la Cour de cassation revoit sa position de principe sur la nature juridique des majorations de retard appliquées par l’Urssaf. Dans certains cas, ces majorations peuvent désormais être qualifiées de sanctions à « caractère punitif », ouvrant la voie à un contrôle de proportionnalité par le juge.
Un changement d’interprétation sur la nature des majorations Urssaf
Depuis 2002, la Cour de cassation considérait que les majorations de retard constituaient une simple contrepartie financière liée au défaut ou au retard de paiement des cotisations sociales. Une interprétation qui excluait leur caractère punitif : en conséquence, le juge n'était pas tenu d’en apprécier la proportionnalité.
Avec l'arrêt du 10 avril 2025, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, en distinguant deux types de majorations :
- Les majorations visant uniquement à réparer un préjudice, telles que les intérêts de retard forfaitaires, qui conservent leur nature indemnitaire ;
- Les majorations ayant une finalité répressive, notamment lorsqu'elles tendent à sanctionner un manquement et prévenir sa récidive. La Cour de cassation établit que ces dernières relèvent d’une logique punitive et sont, à ce titre, soumises aux garanties procédurales de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, à savoir : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».
L’affaire ayant conduit au revirement : un retard lié au contexte Covid
Dans l’affaire en question, une société s’était vu appliquer deux majorations de 7,6 % pour dépôt et paiement tardifs de la C3S au titre de 2020, soit un total de près de 26 000 €. Elle invoquait des difficultés organisationnelles dues à la crise sanitaire, mais sa demande de remise gracieuse avait été rejetée par l’Urssaf puis par le tribunal judiciaire.
En cassation, l’entreprise a fait valoir que l’absence de contrôle par le juge du caractère proportionné des majorations portait atteinte à son droit à un procès équitable. La Cour lui a donné raison, en partie.
Vers un contrôle juridictionnel renforcé
En l’espèce, l’Urssaf avait en effet appliqué deux types de majorations à la société pour manquement à ses obligations en matière de C3S : l’une pour déclaration tardive du chiffre d’affaires, l’autre pour paiement hors délai. Du fait de son revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a donc clairement distingué :
- La majoration pour déclaration tardive, qui a une finalité répressive : parce qu’elle a pour objectif de prévenir et réprimer les manquements futurs, cette majoration a constitué une véritable sanction pécuniaire à caractère punitif, susceptible d’un contrôle de proportionnalité par le juge.
- La majoration pour paiement tardif (appliquée automatiquement en cas de non-versement de la C3S dans les délais demandés), qui poursuit un objectif indemnitaire : elle vise à compenser le préjudice subi par l’organisme du fait du retard (notamment les surcoûts de gestion), à l’image d’intérêts de retard forfaitaires. A l’inverse, cette majoration n’a pas de nature punitive et n’est donc pas soumise à un contrôle de proportionnalité.
La société soutenait précisément que le tribunal judiciaire aurait dû vérifier si l’application des deux majorations de 7,6 %, pour un montant total de 25 936 €, n’était pas disproportionnée au regard de la faible durée du retard (25 jours), et du contexte exceptionnel de l’époque, marquée par des difficultés organisationnelles généralisées liées à la crise sanitaire du Covid-19, au cours de laquelle de nombreux reports d’échéances fiscales et sociales avaient été mis en place.
La Cour de cassation a donné raison à la société sur ce point, en posant désormais l’obligation pour le juge de vérifier, dans un tel cas, l’adéquation de la sanction à la gravité du manquement.
Une nouvelle marge de manœuvre pour les cotisants
Ce revirement ouvre ainsi une brèche dans la rigidité jusqu’ici associée aux majorations Urssaf :
- Le cotisant peut désormais contester leur montant devant le juge, sous réserve que leur finalité soit bien répressive ;
- Le juge doit alors évaluer si la sanction est justifiée au regard des circonstances, notamment en cas de bonne foi, de durée limitée du retard ou de contexte exceptionnel.