Livret A : votre épargne bientôt fléchée pour financer la filière nucléaire ?

Dans les coulisses de l’État et de la Caisse des dépôts, l’idée de mobiliser une partie de cette épargne populaire pour financer la relance du nucléaire semble gagner du terrain. Une décision qui s’inscrirait dans le sillage de Bruxelles, laquelle, après des années d’opposition de principe, a reconnu en 2023 le nucléaire comme une technologie nécessaire à la transition énergétique européenne.
Une manne d’épargne aux mains de l’État
On l’oublie parfois, mais le Livret A n’est pas qu’un simple compte d’épargne personnel : c’est aussi un instrument que l’État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) utilisent pour financer des projets d’intérêt général.
Actuellement, près de 400 milliards d’euros d’épargne réglementée (Livret A, LDDS et LEP) sont centralisés dans ce qu’on appelle le fonds d’épargne. Environ la moitié de ces sommes est dédiée à des prêts de long terme pour le logement social ou la politique de la ville. L’autre moitié est investie dans des actifs financiers, dont la composition exacte demeure en grande partie confidentielle.
Or, selon des informations du Figaro, la Caisse des dépôts et l’État auraient validé le principe d’utiliser une partie des fonds issus du Livret A afin de soutenir l’industrie de l’atome.
« On s’est mis d’accord avec Bercy et EDF sur le recours au fonds d’épargne pour le financement de nouveaux réacteurs EPR », a déclaré Olivier Sichel, directeur général de la CDC, lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef).
Le pari nucléaire : un coût vertigineux à financer
L’objectif serait de flécher une partie des fonds de l’épargne réglementée vers le financement des nouveaux EPR2, les réacteurs nucléaires de nouvelle génération, dont six devraient voir le jour d’ici 2038.
Si l’estimation précise des coûts reste incertaine, l’ancien ministre de l’Énergie Marc Ferracci évoquait en février un budget « en dessous de 100 milliards d’euros ». D’autres sources avancent toutefois des chiffres plus élevés, compte tenu des aléas techniques et des coûts de construction souvent sous-évalués dans ce type de projet.
Cette orientation doit encore obtenir l’aval de Bruxelles, dans le cadre des règles encadrant les aides d’État et les pratiques de financement public.
« L’État français va présenter sa copie à Bruxelles pour obtenir l’accord sur la maquette financière globale », a poursuivi Olivier Sichel, sans en dévoiler davantage sur le plan final.
Quelle confiance pour l’épargne populaire ?
Pour les épargnants, cette perspective pose avant tout une question de confiance. Depuis plus de deux siècles, le Livret A bénéficie d’une image de sécurité et d’utilité sociale. Changer sa vocation - même partiellement - pourrait fragiliser ce lien historique entre les Français et leur épargne réglementée.
Les études d’opinion reflètent d’ailleurs une France partagée sur le sujet. Certains sondages soulignent que le nucléaire jouit d’une image plus positive depuis la crise énergétique, perçu comme un pilier de l’indépendance énergétique et de la décarbonation. D’autres, au contraire, mettent en avant les risques liés aux déchets, à la sûreté ou au coût à long terme de cette filière.
Dans ce contexte, difficile de trancher : l’enjeu dépasse la simple orientation financière et touche à la vocation même du Livret A, historiquement tourné vers le logement social et la solidarité nationale.
Une épargne en perte de vitesse
Ce débat intervient par ailleurs dans un contexte de ralentissement de la collecte. Depuis la baisse du taux du Livret A et du LDDS à 1,70 % en août dernier, la collecte cumulée des deux produits s’est élevée à seulement 180 millions d’euros en août 2025, contre 1,99 milliard d’euros à la même période l’an dernier. Une tendance qui illustre un essoufflement de l’attractivité de l’épargne réglementée, alors même que l’État envisage d’en élargir les usages.