Liaisons au travail : un licenciement fondé sur la vie sentimentale d’une salariée est nul

PUBLIÉ LE :
Liaisons au travail : un licenciement fondé sur la vie sentimentale d’une salariée est nul

Dans sa décision du 4 juin 2025, la Cour de cassation rappelle que l’intimité de la vie privée d’un salarié, y compris sa vie amoureuse, doit être strictement respectée au sein de l’entreprise.

Un employeur ne peut en aucun cas justifier un licenciement par des éléments relevant de cette sphère privée, même s’il s’agit, dans le cas présent, d’une liaison adultère entre une salariée et le président de la société, mari de la directrice générale.

Une salariée licenciée après la découverte de sa liaison avec le dirigeant de l’entreprise

L’affaire concerne une salariée d’une entreprise dirigée par un couple : le mari est président, son épouse occupe le poste de directrice générale. Le 29 mars 2019, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire, avant d’être licenciée pour faute grave le 10 avril suivant.

Mais selon elle, les motifs invoqués dans la lettre de rupture ne sont qu’un prétexte : la véritable raison de son licenciement tient à sa relation sentimentale avec le président de la société, relation qui aurait été découverte par son épouse, également sa supérieure hiérarchique. Selon elle, son licenciement constitue donc une atteinte à sa vie privée.

Un licenciement abusif lié à la vie privée ?

Dans un premier temps, les juges du fond ont écarté l’hypothèse d’un licenciement abusif lié à la vie privée. Ils ont simplement considéré que les faits reprochés dans la lettre de licenciement n’étaient pas établis, justifiés, et ont condamné l’employeur à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à hauteur de 2 900,28 €.

De son côté, la Cour de cassation a estimé que ce licenciement était non seulement injustifié, mais surtout entièrement nul, car fondé sur un élément relevant de la vie privée : la liaison de la salariée avec son employeur.

Un principe fondamental : le respect de la vie privée au travail

En droit français, le respect de la vie privée constitue une liberté fondamentale, protégée notamment par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 9 du Code civil. Un droit qui s’applique pleinement dans le cadre professionnel : un salarié a droit à la protection de sa vie intime, y compris sur son lieu de travail, et cette protection couvre la vie sentimentale.

Par conséquent, et selon les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail, aucune sanction disciplinaire ni aucun licenciement ne peut être justifié par « un motif tiré de la vie personnelle du salarié », y compris amoureuse, à moins :

  • Qu’il s’agisse d’un « manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail» ;
  • Que la relation en question ne soit pas légale (impliquant, par exemple, un mineur) ;
  • Qu’elle ait des conséquences professionnelles avérées telles que le favoritisme ou le conflit d’intérêt, ce qui n’était apparemment pas le cas ici.

La Cour prononce la nullité du licenciement et condamne l’employeur à une indemnité de 20 000 €

La directrice générale avait donc tenté de masquer la motivation réelle du licenciement, en ne mentionnant aucun élément lié à la liaison amoureuse dans la lettre de rupture de contrat. Peu importe, rétorque la Cour : ce qui compte, c’est la réalité des faits. Il a été établi que la véritable cause du licenciement résidait dans la découverte de la relation par l’épouse du président, suivie d’un ultimatum imposant le renvoi immédiat de la salariée.

Conséquence de cette atteinte à une liberté fondamentale, la Cour de cassation a prononcé la nullité pure et simple du licenciement. L’entreprise a donc été condamnée à verser à la salariée une indemnité de 20 000 €, bien au-delà de ce qu’avaient initialement prévu les juges du fond.

Une situation humaine sensible, mais encadrée par le droit : la vie sentimentale est hors de portée de l’employeur

Cette affaire met en lumière une situation humaine sensible, mais elle reste juridiquement encadrée. La directrice générale a été confrontée à une trahison intime dans un cadre professionnel, ce qui a sans doute rendu le climat de travail peu soutenable. S’il est légitime que cette découverte ait provoqué un choc personnel et organisationnel dans l’entreprise, le droit du travail ne peut servir de levier pour trancher des conflits personnels. Il protège de manière constante la vie privée des salariés, même lorsqu’elle interfère émotionnellement avec l’environnement professionnel.

Lorsque de telles tensions surviennent, l’employeur, notamment s’il est personnellement touché, doit privilégier des solutions compatibles avec le cadre légal :

  • Recourir à une médiation;
  • Se mettre temporairement en retrait de la gestion directe ;
  • Encadrer les conflits d’intérêts (comme le favoritisme) à l’aide d’une charte de déontologie au travail - dans un code de conduite par exemple – ou une charte sur le climat au travail, mais qui ne peut déboucher sur une sanction disciplinaire.

À noter :

En France, il n’est pas légal d’imposer une déclaration de relation amoureuse entre collègues, contrairement à certains pays anglo-saxons. Toute restriction éventuelle doit rester exceptionnelle, justifiée par des nécessités détaillées et proportionnées.


Ce qu’il faut retenir, c’est que l’entreprise ne peut s’arroger le droit de sanctionner ce qui relève de la vie intime. Même si les faits concernent une relation avec un supérieur hiérarchique, la sphère privée est et reste un espace protégé, hors de portée de l’employeur.

Cet article issu de Previssima.fr est soumis au droit d'auteur, protégé par un logiciel anti-plagiat. Toute reproduction, rediffusion ou commercialisation totale ou partielle du contenu, sans l’autorisation expresse de la société Previssima, est interdite. Les informations diffusées sur Previssima.fr (hors forum) sont toutes vérifiées par un service juridique spécialisé. Toutefois, Previssima ne peut garantir l'exactitude ou la pertinence de ces données. L'utilisation des informations et contenus disponibles sur l'ensemble du site ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité de Previssima.