« Les systèmes de retraite de la plupart des pays d’Europe du Nord socialement avancés comportent une part de capitalisation collective » (Philippe Berthelot, CAVP)

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« Les systèmes de retraite de la plupart des pays d’Europe du Nord socialement avancés comportent une part de capitalisation collective » (Philippe Berthelot, CAVP)
B. Runtz/CAVP

Le « Grand soir » des retraites aura-t-il lieu en 2022 ? À moins d'un mois de la présidentielle, le sujet inflammable des retraites revient sur la table : fin des régimes spéciaux, allongement de la durée de cotisation, abaissement de l’âge de départ à 60 ans, maintien à 62 ans, recul à 64 voire 65 ans, etc. Afin de sauver le système en difficulté, les propositions des candidats sont légion.

Et si en réalité, la source de tous les maux se trouvait dans les fondements de notre modèle ? Le système par répartition pure, fondé sur la solidarité intergénérationnelle, se heurte depuis des années à des déficits abyssaux, liés notamment aux évolutions démographiques ou à des causes conjoncturelles.

La mise en place de modèles alternatifs pourrait contribuer à la sauvegarde du régime français, c’est l’avis de Philippe Berthelot, président de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), qui promeut un modèle conjuguant répartition et capitalisation collective, à l’instar du système existant à la CAVP. Entretien.

Previssima - Dans son rapport publié le 21 octobre dernier, la Cour des comptes estime que l’équilibre du système des retraites ne pourra être atteint que par le biais d’un recul de l'âge du départ à la retraite ou d’une baisse des pensions. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Berthelot - La Cour des comptes résonne selon un schéma intellectuel somme toute très classique. Pour traiter les déficits du système des retraites, il y a trois hypothèses possibles : augmenter les cotisations, reporter l’âge de départ à la retraite ou baisser le montant des pensions.

Sur ces trois options, la Cour des comptes en prend deux : repousser l’âge de la retraite et augmenter les cotisations.

Je pense que ces choix sont symptomatiques d’un système à bout de souffle ; et pour cause, chaque réforme des retraites en France s’est traduite par une hausse des cotisations et un report de l’âge de la retraite. On ne s’en tient qu’à ces deux paramètres, sans que cela ait contribué à résoudre le problème du financement des retraites, lequel continuera à progresser pour des raisons diverses : entrée progressive en retraite de la génération des baby-boomers, augmentation de l’espérance de vie…

Selon moi, le fait de repousser l’âge de départ en retraite ne va pas directement contribuer à améliorer la situation des régimes de retraites et remettre le système à flot. Je ne suis pas opposé à ce report de l’âge de la retraite, mais je pense que c’est une mesure insuffisante.

Face au déficit structurel des comptes, une réforme est-elle inéluctable selon vous ?

Une réforme est inéluctable, d’une part en raison du déficit structurel mais également afin de répondre aux desiderata des instances européennes et du Fonds monétaire international (FMI) qui réclament une réforme.

Il faut savoir que le système de retraite français est onéreux : nous sommes actuellement le pays de l’OCDE consacrant le plus d’argent au financement des retraites – 330 milliards d’euros, soit 14 % du PIB – ; en comparaison, la moyenne de l’OCDE se situe à 12 % du PIB et le taux tombe à 10 % en Allemagne. Ce qui est d’autant plus problématique, c’est qu’une telle proportion ne permet même pas aux retraités français de bénéficier d’un taux de remplacement efficient. Cela s’explique selon moi par le fait que notre modèle est basé sur un seul mode de fonctionnement – le système par répartition – ce qui n’est pas le cas de la majorité des pays d’Europe.

Le recours à la seule répartition est pénalisant, le système fonctionne mal et les cotisations des actifs ne suffisent plus à financer les pensions des retraités ; pour pallier ces carences, on est obligé d’introduire de l’impôt.

Si vous souhaitez conserver un système par répartition pure, il y a en réalité deux paramètres sur lesquels vous pouvez agir : augmenter la natalité ou favoriser l’immigration d’actifs qui vont cotiser et qui n’auront pas droit à prestation dans l’immédiat.

Quelle position défend la CAVP en la matière ?

Nous étions totalement réticents au régime universel qui aurait conduit le système de retraite français dans le mur à un horizon plus ou moins rapide. On l’a d’ailleurs vu pendant la crise sanitaire où le déploiement massif du chômage partiel et l’octroi de délais pour le paiement des cotisations ont obligé certaines caisses à recourir à l’emprunt ; d’autres comme la nôtre ou celles qui font de la répartition provisionnée avaient les réserves, ce qui a permis de limiter l’impact.

Le régime en trois silos - salariés, fonctionnaires et indépendants - évoqué par le Président de la République il y a quelques mois, peut être assez séduisant sur le papier. Toutefois, à mon sens, on repartirait sur trois petits régimes universels et je ne comprends pas vraiment, sauf à faire des transferts, comment pourrait s’équilibrer le régime des fonctionnaires dans son silo, sans parler de celui des salariés structurellement déficitaire et de celui des indépendants qui pour certains relèvent de la CNAV et d’autres de la CNAVPL.

Nous prônons plutôt la mise en place d’un régime de base, socle, pour protéger les Français et une gestion autonome des régimes complémentaires par les caisses professionnelles, sous le contrôle de l’État.

Le régime de retraite complémentaire des pharmaciens libéraux est le seul régime des libéraux géré par répartition et par capitalisation. Quels sont les avantages de ce double système ?

La CAVP représente 60 000 affiliés en France. Comme toutes les professions libérales, nous relevons de la CNAVPL pour le régime de base. Nous gérons le régime complémentaire qui repose sur un système original : il comporte une partie en répartition et une autre en capitalisation.

Dès 1962, les pharmaciens ont anticipé la question relative au financement des retraites à un horizon de 25-30 ans et ont imaginé un système de capitalisation géré de façon collective, sous l’égide du régime de la Sécurité sociale. Ce système, optionnel au départ, a été rendu obligatoire et solidaire par l’État en 2015.

La caisse gère aujourd’hui près de 9 milliards d’euros dont environ 1,5 milliard voués au régime par répartition et 7,5 milliards dans le régime de capitalisation. La gestion des réserves se fait avec des règles prudentielles extrêmement importantes ; nous nous garantissons un certain niveau de rendement sans avoir recours aux placements risqués.

Dans le détail, à la CAVP, les provisions sont calculées de manière à ce que nous ayons à tout moment la certitude que s’il n’y a plus de cotisants aujourd’hui, nous aurions les réserves nécessaires pour payer la dernière retraite du conjoint survivant d’un pharmacien décédé.

Sa généralisation à l’ensemble des régimes obligatoires pourrait-elle constituer une réponse aux limites du système par répartition ?

La CAVP a un système solidaire, collectif et responsable qui a revalorisé la pension en capitalisation des retraités à hauteur de 2,2 % en 2021. Imaginez si l’on extrapolait ce mécanisme à l’ensemble des retraités français : ils pourraient bénéficier d’une revalorisation plus forte que ce qu’offrent les régimes par répartition et cela, de manière certaine. Et pour cause, dans la mesure où les acquisitions de la CAVP en termes d’actifs sont plus importantes que le volume des pensions à payer, les pharmaciens récemment partis en retraite ont la certitude que leurs pensions leur seront versées et qu’elles seront revalorisées. On ne peut pas en dire autant aujourd’hui du système par répartition.

Ce qui fait la différence avec la répartition pure, c’est que dans un régime par capitalisation, il y a une notion de soutenabilité, c’est-à-dire une capacité à s’affranchir des cotisations immédiates pour pouvoir payer les retraites.

D’ailleurs, depuis 10 ans, tous les pays ayant réformé leur système de retraite l’ont fait avec une part de capitalisation, à l’instar du Danemark.

Je pense en définitive que l’introduction d’un taux modeste de capitalisation obligatoire collective dans le système par répartition pourrait consister une réponse pertinente aux limites du régime actuel.

La réforme des retraites se taillera une place de choix dans les prochains débats à la présidentielle, quel conseil donneriez-vous aux candidats ?

Je conseille aux candidats de faire preuve d’imagination, de trouver des solutions plus novatrices que le simple fait d’augmenter l’âge de départ à la retraite.

Je pense qu’effectivement, l’espérance de vie augmentant, nous serons obligés de tenir compte d’une prise de retraite plus tardive des affiliés.

Quoiqu’il en soit, il faut bien se rendre compte que l’évolution du montant des pensions ne suit pas l’inflation et de ce fait, il faudrait peut-être se tourner vers des modèles alternatifs à celui de la répartition pure.

À la CAVP, il y a aujourd’hui un modèle qui fonctionne, basé sur la répartition et la capitalisation, et qui pourrait inspirer les autres régimes de retraite à l’avenir.

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