« Le transfert précipité du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers l’Urssaf constitue une prise de risque inutile » (René-Paul Savary, sénateur de la Marne)

Amorcée en 2011 avec le transfert de la collecte des cotisations d’assurance chômage, la politique de l’unification du recouvrement social entre les mains de l’Urssaf se poursuit depuis, avec l’objectif de faire de la caisse l'unique organisme collecteur des prélèvements sociaux, tous régimes confondus (hors Mutualité sociale agricole) à l’horizon 2025.
Dans cette dynamique, le transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire Agirc-Arrco devait prendre effet au 1er janvier 2022 avant d’être reporté d’une année, en raison de la crise sanitaire.
En juin dernier, la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), qui a pour rôle de suivre et contrôler l'application des lois de financement de la Sécurité sociale, a préconisé de différer de nouveau ce transfert au 1er janvier 2024 afin de sécuriser les droits à la retraite complémentaire des 20 millions d’affiliés à la caisse. Le point sur la question avec René-Paul Savary, sénateur de la Marne et président de la MECSS.
Derrière le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf prévu au 1er janvier 2023, il y a la volonté politique d’unifier le recouvrement social entre les mains des Urssaf. Quels sont les enjeux d’une telle opération ?
Le recouvrement des cotisations représente des sommes astronomiques - plusieurs centaines de milliards d’euros - une unification rationaliserait le système en permettant de simplifier les démarches pour les déclarants, d’améliorer la performance du recouvrement et de réaliser des économies de gestion.
Ce principe d’unification des recouvrements est donc tout à fait honorable, à la condition toutefois de créer un nouveau système social tenant compte de l’historique de chaque organisme.
En effet, un certain nombre d’organismes exerçant des responsabilités sociales telles que la CAF ou les caisses de retraite de base ou complémentaire sont intégrés dans leur gestion ; en conséquence, toute mesure d’unification du recouvrement entraînera leur désintégration.
Lorsque les performances du recouvrement ne sont pas optimales, je pense notamment à l’assurance-chômage ou à la CIPAV qui affiche un taux de recouvrement relativement bas, le mécanisme d’unification peut revêtir un caractère efficient. Mais pour les organismes où le processus de recouvrement est bien huilé comme à l’Agirc-Arrco, il faut être attentif à ne pas déstructurer l’existant.
Par ailleurs, une véritable fiabilisation des données sur le plan nominatif est impérative. Or, il nous semble que l’Urssaf n'est pas encore suffisamment performante sur ce point car historiquement, elle travaille sur les données agrégées, à l’échelle de l’entreprise et non sur les données nominatives contrairement à l’Agirc-Arrco. Afin de se mettre à niveau, l’Urssaf doit se doter de nouveaux outils numériques.
D’autre part, le fait de centraliser la collecte des cotisations peut représenter des risques au regard notamment des interceptions numériques ou des dysfonctionnements informatiques, lesquels peuvent engendrer des conséquences importantes.
Il y a quelques jours, un rapport de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat que vous présidez, a préconisé de reporter à 2024 la mise en œuvre du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco. Pour quelle raison ?
Sur la question du transfert des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf, nous avons mené des auditions très approfondies et nous n’avons pas été convaincus du caractère significatif de l’objectif de simplification, d'amélioration de la performance et d’économie.
En effet, le système actuel de recouvrement des cotisations sociales par l’Agirc-Arrco fonctionne bien, sa remise en cause s’avère donc délicate. En outre, du fait que c’est un régime par point, il y a un rapprochement très important entre la cotisation et le droit ouvert pour l’usager. Or, le recouvrement tel qu’il est opéré par l’Urssaf pourrait casser ce lien entre la cotisation et la prestation.
Pour qu'il y ait un lien entre cotisations et prestations, il faut impérativement que les données soient prises en compte à l’échelon nominatif et non à l’échelle de l’entreprise et c'est là où l'AGIRC-ARRCO est particulièrement performante puisqu'elle travaille sur des données nominatives et recalcule systématiquement les cotisations au fil de l'eau. Ainsi, en cas de problème, elle s’en rend aussitôt compte et alerte l’entreprise. L’Urssaf de son côté travaille sur une fiabilisation des données agrégées, c’est-à-dire les données de l'entreprise globalisées et donc derrière, il peut y avoir des différences en termes de taux de cotisations.
Prenons l’exemple d’une entreprise employant deux salariés : elle paye 200 € de cotisations sociales, soit 100 € par salarié. Si au lieu de s’acquitter d’une cotisation identique de 100 € par salarié, l’entreprise paye 90 € pour l’un et 110 € pour l’autre, la donnée agrégée (à l’échelle de l’entreprise) de 200 € est considérée comme juste par l’Urssaf mais la donnée nominative n'est plus juste, ce qui peut être source d’erreurs.
Avant toute bascule, une fiabilisation des données sur le plan nominatif est donc primordiale.
La perspective d’un tel transfert au 1er janvier 2023 ranime-t-elle le spectre d’une nouvelle « catastrophe industrielle » qui n’est pas sans rappeler la gestion désastreuse du RSI ?
Ce qui peut être problématique, c’est la mise en place d’un double contact Urssaf/Agirc-Arrco pour les entreprises. Cela reviendrait à créer un système à deux têtes. Une telle situation - qui n’est pas sans rappeler les difficultés rencontrées par les affiliés du Régime social des indépendants - ferait naître des inquiétudes majeures quant à la sécurisation des droits à retraite complémentaire des 20 millions d'affiliés au régime.
Il est nécessaire que les deux caisses soient bien en phase et qu’elles signent une convention définissant le rôle de chacune. C'est la raison pour laquelle à la MECSS, nous pensons qu’il faut encore plusieurs sessions de discussions afin d’être sereins quant à la sécurisation du système.
Enfin, n’oublions pas qu’un transfert des cotisations Agirc-Arrco vers l’Urssaf aura d’autres incidences : la caisse de retraite complémentaire perdra son rôle de contact avec les entreprises en matière de cotisations mais le conservera pour la gestion des prestations de mutuelle santé par exemple. Cela peut être source de méprise pour l'affilié.
A plus petite échelle, en 2020, le recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs a été confié à Urssaf Limousin. Diriez-vous, 2 ans après, que ce transfert est un succès ?
Ce transfert ne fonctionne pas car le régime des artistes-auteurs est particulier. L’Urssaf a procédé à l’affiliation de personnes qui ne devaient initialement pas relever du régime des artistes-auteurs. En temps normal, ce sont l’AGESSA ou la Maison des Artistes qui affilient et non l’Urssaf. Les conventions n’étant pas clairement définies, on ne sait pas exactement qui fait quoi et on en arrive à ce genre de difficultés.
Cela pose de véritables problèmes puisque les personnes affiliées injustement à ce régime n’auront pas de droits ouverts à prestations. Le but d’un organisme de prestations sociales c’est de rendre service à l’usager et non de l’emmener dans un mauvais chemin, ce qui semble être le cas ici.
L’Urssaf traite un tel nombre de ressortissants et de telles sommes que vue de la caisse nationale, la situation des artistes-auteurs parait anodine. Fort heureusement, même s’il y a encore des difficultés, la situation s’améliore progressivement. Afin d’éviter de ce type de difficultés, il est nécessaire de signer en amont les bonnes conventions permettant d’être en accord sur la façon de faire ; cela évite les dysfonctionnements pouvant entraîner des répercussions notables sur les usagers en termes de droits sociaux notamment.
C’est pour cette raison que les difficultés rencontrées par les affiliés de la caisse des artistes-auteurs ne doivent pas se reproduire à une plus grande échelle, pour l’Agirc-Arrco.
Yann-Gaël Amghar, le directeur de la Caisse nationale des Urssaf, a récemment déclaré que l’Urssaf était prête pour recouvrer les cotisations Agirc-Arrco dès 2023 ? Que lui répondez-vous ?
Aujourd’hui l’Urssaf est bien plus qu’un simple collecteur de cotisations, désormais la caisse a une vision sociale. La crise l’a mise devant le fait qu’elle devait, outre la mission de recouvrer les cotisations, prendre en compte les éventuelles difficultés rencontrées par les usagers ou les entreprises.
Avec des process informatiques qui s’améliorent, l’Urssaf aura techniquement la capacité de recouvrer les cotisations Agirc-Arrco. Néanmoins, si c’est pour prendre le risque de faire des indus, ou s’il n’y a pas la garantie de la fiabilisation des données nominatives et que ce soit aux employeurs de procéder au recalcul des données agrégées, alors ce transfert précipité constitue une prise de risques inutile.
Nous pensons qu’il ne faut pas se priver d’une année supplémentaire permettant de faire face aux éventuels problèmes rencontrés. Il faut prendre le temps nécessaire pour faire en sorte que le process pilote mis en œuvre début 2022 soit véritablement opérationnel et que le nombre d'entreprises participant à l’expérimentation soit suffisant pour être significatif.