« La réforme des retraites ne peut se résumer à la finance, c’est un projet de société, un contrat social » (Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du Rhône)

Dans un contexte de forte mobilisation intersyndicale, l’examen en séance publique du projet de loi portant réforme des retraites a débuté le 6 février dernier à l’Assemblée nationale dans une atmosphère très tendue.
Le Gouvernement défend sa réforme qu’il souhaite voir adoptée fin mars 2023 et se dit d’ailleurs prêt à quelques améliorations faute de majorité. Il a notamment tendu la main aux députés Les Républicains en ouvrant la possibilité de départ à la retraite à 63 ans pour les personnes ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans.
De son côté, Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, estime que cette réforme des retraites doit s’inclure dans un projet de justice sociale, de société et notamment être accompagnée de politiques fiscale et familiale et de lutte contre les fraudes sociales. Entretien.
Previssima - Que pensez-vous du projet de réforme des retraites tel qu’envisagé par Emmanuel Macron ?
Valérie Boyer – Alors que les retraites représentent plus du tiers des prestations sociales versées, que la retraite à 60 ans décidée sous François Mitterrand a couté 2000 milliards d’euros (soit les 2/3 de notre dette ), l’idée d’envisager une réforme des retraites - présentée par le Président comme une grande réforme - dans un texte de financement de la sécurité sociale et non pas un projet global, un projet de société, n’est pas à la hauteur des défis à relever comme des attentes des Français. Cette réforme ne peut être réduite à une somme de points techniques, voire techno. En revanche, pour Les Républicains, il s’agit de défendre notre modèle social, de relever le défi démographique, et de tendre vers l’équilibre des comptes publics.
Il est question des principes de notre solidarité, c’est-à-dire du fondement de la Sécurité sociale où les bien-portants cotisent pour les malades, les célibataires pour les familles et les actifs pour les retraités. Nous sommes au cœur d’un système où les actifs sont engagés professionnellement mais également familialement en étant parents et enfants adultes s’occupant des générations dépendantes.
Pourtant le président Macron a mis en péril notre souveraineté dans de nombreux domaines : il fait flamber la dette (« quoi qu’il en coûte », inflation…), affaissé les services publics, dégradé comme jamais le commerce extérieur qui culmine à 164 milliards d’euros de déficit, aggravé voire provoqué la crise de l’énergie (abandon du nucléaire et l’enfermement de la France dans l’ARENH…), sans évoquer les chiffres alarmants sur l’insécurité ou sur l’immigration … Cette réforme est abordée dans un contexte d’autant plus dégradé que le Président a prétendu pendant son mandat précédent que la réforme des retraites n’était ni utile ni nécessaire. Au printemps 2019, à l'occasion du Grand Débat national, il souhaitait en effet « laisser » à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite. Selon lui, « nous devons faire une réforme beaucoup plus large, beaucoup plus profonde qui est de créer ce nouveau système par points. Un projet beaucoup plus profond, plus ambitieux, qu’il ne faut pas compromettre en bougeant l'âge légal. Tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ça serait assez hypocrite de décaler l'âge légal. Quand aujourd'hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu'on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. C'est ça la réalité de notre pays. ».
Je pense qu’il faut avoir le courage de la cohérence et chez les Républicains, nous l’avons. Si l’on se retrouve dans une situation de grande frustration sociale aujourd’hui, c’est en partie lié à tous ces renoncements et faux espoirs du « en même temps » dans un contexte où la valeur travail est dévalorisée. Oui cette réforme est brutale. Aujourd’hui, on dit à ceux qui ont travaillé toute leur vie qu’il n’est plus possible pour eux de bénéficier du respect du contrat social. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de colère, exacerbée d’ailleurs par ce contexte de crise générale.
Dans le cadre de cette réforme, il faut réfléchir sur la valeur travail et le temps de travail, mais également l’accompagnement d’une politique fiscale et familiale. La réforme des retraites n’est pas qu’une réforme technique et financière comme la présente le Président de la République, mais un projet de société.
Pourquoi la réforme des retraites doit-elle être accompagnée d’une réforme fiscale ?
Outre l’impôt sur le revenu qu’il conviendrait à mon sens de diminuer et même de réaménager pour les familles en activité accueillant des enfants, je crois qu’il est nécessaire également de redonner de l’espérance aux 58 % des Français propriétaires qui voient les prix de l’immobilier flamber et qui auront probablement la mauvaise surprise cette année de devoir s’acquitter d’une forte augmentation de la taxe foncière. Parmi ces propriétaires, de nombreux retraités ou personnes proches de la retraite. Acquérir sa résidence, son foyer, c’est aussi le projet d’une vie, un rêve français, un investissement pour sa retraite pour sa famille. C’est pourquoi il faudra aborder aussi la question des droits de succession qui ne peuvent rester aussi élevés[1].
Concernant la résidence principale elle est incluse dans le calcul de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) avec des abattements qui ne prennent plus en compte la hausse historique des prix de l’immobilier. Une résidence principale ne constitue pas un objet de spéculation, c’est le lieu où l’on habite, le foyer. Actuellement, un tiers des personnes s’acquittant de l’IFI gagnent moins de 5 000 € par mois, beaucoup sont retraités. Il faut revoir ces dispositifs.
Dans quelle mesure une politique familiale s’avère également primordiale ?
Emmanuel Macron s’est échiné à détricoter ce qu’il restait de la politique familiale déjà mise à mal par le président Hollande quand il était son conseiller puis son ministre en supprimant en 2015 l’universalité des allocations familiales notamment.
C’est une évidence, même si nous ne le disons pas assez, mais ce sont les mères de famille qui sont défavorisées professionnellement par leur(s) maternité(s). C’est à mon sens une forme de violence faite aux (jeunes) femmes d’aujourd’hui, la société leur impose un choix terrible : travailler ou avoir des enfants alors qu’elle devrait les accompagner et mieux accueillir leurs enfants, la richesse d’un pays… « il n’est de richesse que d’hommes », disait Jean Bodin.
Parmi les mesures concrètes à mettre en place, il est nécessaire de poursuivre et d’améliorer les modes de garde mais il faut revenir sur l’universalité des allocations familiales, c’est un symbole important d’accueillir chaque enfant. C’est ensuite à l’impôt sur le revenu notamment de réduire les inégalités. Mais il faut aller plus loin en relevant le quotient familial, c’est-à-dire en réduisant plus les impôts des familles qui accueillent des enfants. Ces mesures fiscales participeraient à l’indépendance, au travail des femmes à leur promotion et préserveraient leur liberté d’avoir des enfants. La retraite est le reflet d’une carrière, elle ne peut compenser toutes les inégalités professionnelles liées à l’accueil d’enfants dans un foyer. C’est pendant l’activité professionnelle que la société doit être accueillante, accompagnante pour les femmes qui travaillent et ont également des enfants. C’est une question de justice sociale, d’émancipation et de promotion sociale.
Les familles qui font le choix courageux d’accueillir des enfants réalisent un investissement dont les retombées sont profitables à l’ensemble de la société et constituent les recettes du régime des retraites par réparation de demain. Rappelons que dans les années 60, il y avait 1 retraité pour 4 actifs, alors qu’aujourd’hui ce ratio est d’un retraité pour 1,7 actif.
Ces questions de politiques familiales sont intrinsèquement liées à une réforme des retraites ambitieuse. Je regrette profondément qu’elles aient été exclues du texte du gouvernement, même si j’espère que ces lacunes seront comblées au Sénat, pour certaines d’entre elles.
Quelle réforme des retraites préconiseriez-vous ?
Avoir un projet pour notre pays, un projet qui rassure parce qu’il dit la vérité et veut garantir le paiement des pensions. La retraite est l’aboutissement d’une vie de travail, un projet de vie, de société, plus global. Au sein des Républicains, nous souhaitons que la valeur travail soit mieux considérée. Si nous nous comparons à nos voisins européens, nous travaillons moins et moins longtemps. Je constate que ni le président Hollande ni son successeur ne sont revenus sur l’âge de départ à 62 ans. C’est pour cela que nous demandons un report de l’âge légal en retraite à 63 ans en 2027 puis 64 ans avec une clause de revoyure. Je vous rappelle qu’Emmanuel Macron, avec Edouard Philippe, voulaient passer directement à un relèvement à 65 ans, voire 67 ans et ce, sans tenir compte de l’état du pays dans un contexte de crise. Ce n’est pas le moment d’ajouter de la brutalité.
Outre moins de brutalité pour s’adapter au contexte socio-économique dégradé sous les Présidences Hollande puis Macron je me permets de rappeler que les Républicains ont déjà obtenu plusieurs dispositions de justice sociale :
- 1200 euros minimum pour les actuels pensionnés et ceux qui vont partir à la retraite (pour ceux qui ont eu une carrière complète au Smic) ce qui est une avancée importante à l’heure où les retraités ont perdu 200 euros par mois de pouvoir d’achat depuis plusieurs années ;
- une meilleure prise en compte des carrières longues des jeunes, c’est-à-dire un départ après 43 années de cotisations pour tous y compris les 16-20 ans, même si ces avancées sont loin de faire toute la réforme ;
- en empêchant le hold-up que le Président Macron souhaitait réaliser sur l’Agirc-Arrco ;
- des avancées pour les carrières hachées des femmes en particulier.
Mais il faut aller plus loin :
- s’agissant particulièrement des mères de famille celles-ci doivent être mieux considérées fiscalement et mieux accompagnées socialement pendant leur activité professionnelle, et ne pas oublier les actifs « aidants » de leurs parents dépendants ;
- valoriser la retraite pour celles qui ont eu 3 enfants avec une carrière complète ;
- harmoniser les régimes de réversion, ces différences substantielles entre les secteurs public et privé sont injustes et incompréhensibles ;
- renforcer les dispositifs concernant l’emploi des séniors à travers l’obligation pour les entreprises de mettre en place des négociations triennales afin d’engager des actions concrètes en leur faveur ;
- lutter efficacement - enfin ! - contre les fraudes sociales c’est une mesure de justice sociale et d’équité au moment où des d’efforts sont demandés aux Français.
Chez Les Républicains, nous avons toujours dit que nous ne souhaitons ni augmenter les impôts déjà si élevés ni baisser les pensions. C’est pourquoi nous respectons les Français en leur disant la vérité sur la nécessité d’allonger la durée de cotisations que la démographie nous impose. Toutefois, nous ne souhaitons pas rallonger cette durée de cotisations indéfiniment ; c’est pourquoi nous proposons de mener en parallèle une politique familiale donnant la liberté aux femmes françaises de travailler et d’avoir des enfants si elles le souhaitent.
La réforme des retraites ne doit pas se réduire à de la technique budgétaire mais présenter un véritable projet de société. Or, il n’y a rien de tout cela dans le projet d’Emmanuel Macron qui constitue plutôt un ensemble de mesures techniques désincarnées, c’est lui qui a choisi un véhicule législatif budgétaire. Il pouvait faire un choix plus courageux et présenter un projet plus ambitieux qui fixe un cap aux Français.
Le Président Macron qui a pourtant tellement dégradé les comptes publics désire s’imposer en réformateur avec un texte qui s’apparente plus à des ajustements financiers qu’à un projet de société.
Chez Les Républicains nous sommes cohérents et constants et proposons un projet ambitieux pour sauver notre régime par répartition en imposant nos mesures. Les Français pourront avoir confirmation de notre ambition et de notre détermination à sauver notre modèle social en regardant les débats qui auront lieu au Sénat dans le respect des convictions de chacun. Le Sénat ne se livrera ni à l’obstruction ni à l’invective, nous respectons trop les Français.
In fine, la véritable question, c’est de chercher comment sauver notre modèle social et notre système par répartition. La réforme des retraites, ce n’est pas que de la finance, c’est le contrat social et c’est ainsi que je la défendrai au Sénat.
[1] L’âge moyen auquel les Français héritent ne cesse de reculer. Il est aujourd’hui de 50 ans, il sera de 58 ans en 2050. La France est l’un des seuls pays de l’OCDE où les droits de succession sont aussi élevés entre époux et parents et enfants alors qu’ils se cumulent avec des taxes notamment foncières et des taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone Euro.