« La réforme des IJ des libéraux n’a pas été discutée, n’a pas été négociée et n’est pas adaptée » Romain Acker, dirigeant de la société Amateos

PUBLIÉ LE :
« La réforme des IJ des libéraux n’a pas été discutée, n’a pas été négociée et n’est pas adaptée » Romain Acker, dirigeant de la société Amateos
Adobe Stock

En mars 2020, le Gouvernement a déployé de façon dérogatoire un dispositif d’indemnités journalières, financé par l’Assurance maladie, dans le but d’aider les professionnels libéraux contraints d’interrompre leur activité en raison du confinement, d’une infection au Covid-19, ou encore d’une garde d’enfants. Une prestation temporaire qui a amorcé une réflexion sur la couverture prévoyance de base des professions libérales, laquelle ne prévoit pas d’indemnisation en cas d’incapacité de travail au cours des 3 premiers mois d’arrêt.

Cette réflexion s’est traduite par l’adoption d’un amendement à travers la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2021, qui instaure de façon pérenne un dispositif obligatoire et commun d’indemnités journalières maladie pour les professions libérales affiliées à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAVPL). Les paramètres de ce régime, qui doit être mis en place pour le 1er juillet 2021, sont connus.

Or, pour Romain Acker, expert-comptable, dirigeant de la société Amateos, membre du bureau de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des experts-comptables (CAVEC) et administrateur de l’URSSAF nationale, ce nouveau système ne représente pas une avancée sociale, contrairement aux arguments avancés par le Gouvernement et l’Union nationale des professions libérales (UNAPL).

Previssima - Pourquoi le Gouvernement réforme l’indemnisation de l’arrêt de travail pour les professionnels libéraux ?

Romain Acker – Avant tout, parce que cela lui a été demandé par l’UNAPL, probablement avec l’accord de la Chambre nationale des professions libérales (CNPL). En soi, nous ne pouvons que nous réjouir de voir le Gouvernement à l’écoute des syndicats représentatifs des professions libérales.

Dans sa présentation de l’amendement 2699 à la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement met en avant les arrêts de travail dérogatoires institués dans le cadre de la crise de la COVID. Il rappelle le besoin de solidarité que cette crise a révélé et se réjouit d’ouvrir de nouveaux droits pour les professionnels libéraux, puisque ces derniers n’ont aujourd’hui pas droit aux IJ hormis, pour certains, à partir du 90ème jour.

Concernant le besoin de solidarité, personne ne peut être contre. C’est bien pour cela qu’il est régulièrement invoqué lors de la création d’un nouveau prélèvement obligatoire. La Contribution générale de solidarité (CSG) n’étant qu’un exemple parmi d’autres. Cependant, si vraiment le sujet était sur la solidarité, nous pourrions nous demander pourquoi les avocats ont été exclus du champ de la réforme.

Concernant les « nouveaux droits » créés, j’en vois surtout un qui disparaît : le droit de choisir. Car le droit de percevoir des indemnités journalières existait déjà :

  • Par le choix d’un statut d’assimilé salarié, pour certaines professions ;
  • Par le choix de la Sécurité Sociale des Indépendants plutôt que de la CIPAV, pour les auto-entrepreneurs ;
  • Par le choix d’un contrat d’assurance privé (Madelin) pour adapter la couverture.

Ce droit aurait même pu être plus important s’il avait été laissé la possibilité aux caisses de retraite complémentaire de proposer des indemnités avant les 90 jours. Or cela leur est, depuis longtemps, interdit. Ce n’est qu’avec difficulté que la CAVEC a pu mettre en place des indemnités, dans le cadre de la crise liée à la Covid-19, du 1er au 90ème jour d’arrêt.

Personnellement, je préfère avoir le choix. En tant qu’expert-comptable, j’aurais pu décider d’être assimilé-salarié, mais j’ai choisi d’être libéral et de prendre un contrat Madelin adapté à ma façon de vivre et de gérer mon entreprise.

Enfin, sur la question des arrêts de travail dérogatoires : dans le rapport de la Cour des Comptes sur les comptes de la Sécurité sociale en 2020, nous apprenons que ceux-ci ont coûté 1,5 milliard pour l’ensemble de la population sur l’ensemble de l’année.

Les chiffres par catégorie de cotisants ne sont pas mentionnés et l’on peut se demander s’ils sont connus dans la mesure où ce type de suivi n’est pas prévu dans les systèmes informatiques de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Nous savons simplement que les professionnels libéraux représentent un peu moins de 4 % de la population active (micro-entrepreneurs inclus). Si les dépenses sur l’ensemble de l’année représentent plus de 80 millions d’euros, ce serait déjà beaucoup.

Un article des Echos, publié en janvier 2021, nous apprend aussi que 80 % de ces arrêts dérogatoires correspondent à la garde d’enfants dans le cas d’écoles fermées. Cette mesure exceptionnelle a été prise en charge par l’Assurance maladie. C’est très bien. Les mesures d’urgence ont été prises. Était-ce le bon moyen de les financer ? Il serait inopportun d’en juger aujourd’hui. De la même façon qu’il serait inopportun d’utiliser des mesures de crise comme base pour une réforme pérenne de la protection sociale des indépendants.

Regrettez-vous que les professionnels libéraux n’aient pas été consultés avant de mettre en place ce système ?

C’est un peu un paradoxe : à l’initiation de cette réforme, nous avons la réponse bienveillante d’un Gouvernement à l’écoute des syndicats représentatifs. Pourtant, l’ensemble du projet a été organisé sans les professionnels eux même.

Il suffit de regarder le calendrier pour comprendre le problème : la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale s’est réunie les 13 et 14 octobre 2020 pour étudier le PLFSS 2021. La CNAVPL s’est réunie le 15 octobre, dans aucune de ces deux instances il n’a été question de l’amendement. Il devait pourtant être prêt, puisqu’il a été déposé le 16 octobre.

Si les deux syndicats représentatifs avaient travaillé le projet en amont avec la CNAVPL, au sein de laquelle ils siègent et avec leurs adhérents, qui ont été élus à la gouvernance des différentes caisses de retraite. Si le projet avait été construit avec pour les professionnels libéraux, il n’aurait pas été rejeté par le Conseil d’Administration de la CNAVPL.

Pensez-vous que cette réforme a été décidée trop vite ?

Pour ses initiateurs, ce régime est l’occasion d’afficher une réalisation positive auprès des professions libérales. J’ai la sensation qu’il s’agit d’une réforme politique dont l’agenda est contraint par les élections de 2022. Sinon, pourquoi se précipiter sur la date du 1er juillet 2021 pour instaurer ce nouveau système ? Il s’agit d’un dispositif lourd à mettre en place qui apportera un important lot de contraintes et de désagréments techniques.

Aussi, pour vous répondre très clairement, oui, cette réforme a été décidée trop vite et sa mise en œuvre est précipitée. Décidée tellement vite, qu’elle exclut (probablement par erreur) les Commissaires aux Comptes du dispositif. En effet, le texte ne concerne que les professions mentionnées à l’article L 640-1 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne sa mise en œuvre précipitée, elle va contraindre à adopter le même système informatique que pour les artisans commerçants (application ARPEGE), qui a été mise en place en 2020 et dont les dysfonctionnements lui ont valu l’honneur d’une mention dans le rapport de la Cour des Comptes sur les comptes du régime général.

L’entrée en vigueur imminente de ce nouveau régime ne permet pas aux professions libérales concernées de travailler sereinement sur ses paramètres, ses modalités, sa mise en œuvre, etc., contrairement à la réforme de 2016, qui prévoyait que chaque branche puisse décider de son système et de son calendrier. À l’époque, les caisses qui se sont intéressées à la possibilité de mettre en place des IJ en cas d’arrêt de travail se sont retrouvées confrontées à des demandes d’informations complémentaires interminables de la part de leur tutelle, ce qui fait qu’aucun projet n’a pu aboutir.

À l’inverse, la réforme qui nous intéresse aujourd’hui a été introduite dans la LFSS 2021 via un amendement gouvernemental. Sans discussion, sans obstacle et sans étude d’impact.

Quelles sont les contraintes de cette réforme ?

Avant même de revenir sur les détails de la réforme, des problèmes apparaissent déjà dans l’article 69 de LFSS 2021. Il est précisé que la CNAVPL est responsable du pilotage du régime, mais que sa gestion est confiée à la CNAM. Cela signifie que la CNAVPL sera dépendante des statistiques de la CNAM pour son pilotage. Statistiques qui, à en croire le rapport de la Cour des Comptes évoqué plus haut, semblent être perfectibles.

Concernant le pilotage, l’article L622-2 du code de la sécurité sociale modifié par la Loi prévoit que la CNAVPL peut agir sur certains paramètres. Il prévoit surtout que concernant les prestations, la caisse ne peut que les diminuer. Concernant les cotisations, elle ne peut que les augmenter. Ce système est donc destiné à être inflationniste.

Enfin, il ne figure aucune mention, ni dans la loi ni dans le projet de décret, de ce qu’il adviendra des excédents du régime s’il y en a. Deux hypothèses sont possibles :

  • Ils restent dans le régime de la CNAVPL dans le but d’amortir d’éventuels chocs futurs ;
  • Ils sont attribués à un autre régime (artisans commerçants ou salariés) pour en renflouer les caisses.

Que pensez-vous des paramètres du régime ?

Selon le décret, la cotisation est plafonnée à 0,30 % sur un revenu de 3 Plafonds annuels de la Sécurité sociale (PASS), soit une cotisation maximale à 370 €/an en 2021, avec une IJ correspondante fixée à 169 €/jour en 2021. Le plancher de cette prestation est à 40 % du PASS, soit 50 €/an en 2021 et une IJ minimale d’environ 22 €/jour.

Premièrement, le plafond. Pourquoi 3 PASS ? Pour les salariés, les IJ sont plafonnées à 0,8 PASS. Pour les artisans, il est de 1 PASS. À quoi correspond ce plafond différent pour les libéraux ? À leur offrir un revenu de remplacement plus important dès le quatrième jour d’arrêt ? C’est très généreux mais est-ce vraiment une demande de leur part ?

Deuxièmement, les conditions d’ouverture de droits. Pour les salariés, il faut avoir travaillé 150 heures au cours des trois mois précédant l’arrêt. La CNAVPL avait demandé que les droits soient ouverts après un mois d’affiliation. Le décret précise qu’il faut un an d’affiliation à un régime ouvrant droit aux IJ. Pourquoi un an ? Parce c’est ce qui existe pour les artisans commerçants et qu’on ne peut pas faire autrement. Accessoirement, rares seront les professionnels libéraux qui, au 1er juillet, auront cotisé depuis un an à un régime ouvrant droit aux IJ. Cela devrait arriver au plus tôt au 1er janvier 2022.

Un autre détail qui n’en est peut-être pas un : il suffit d’être malade une semaine (en incluant le délai de carence de 3 jours) pour rembourser sa cotisation. Cela peut engendrer des changements de comportement du côté des professions libérales avec d’éventuels recours massifs au dispositif.

Aujourd’hui, beaucoup de professionnels libéraux peuvent continuer à travailler en étant malade, car nos structures nous le permettent. Demain, s’il y a une cotisation, il faudra bien qu’elle serve.

Troisièmement, les taux de cotisation. Nous avons vu plus haut que le système est structurellement inflationniste. Il faudra donc peu de temps avant que le montant de nos cotisations ne s’aligne sur celui des artisans-commerçants.

Au-delà des paramètres de base, cette réforme va également venir perturber le fonctionnement des caisses, notamment celles qui proposent des IJ à partir du 90ème jour. En effet, le nouveau système présente deux limites :

  • La première figure le nombre de jours indemnisés maximal pour un arrêt de travail : 87 jours (90 moins le délai de carence) ;
  • La deuxième figure le nombre de jours indemnisés maximal sur une période de 3 ans : 360 jours.

Il y aura donc nécessairement des situations où les nouvelles indemnités journalières chevaucheront celles versées par les caisses qui en proposent [NDLR : Les caisses qui proposent des IJ au-delà du 90ème jour sont la CAVEC, la CARMF, la CARCDSF, la CARPIMKO.]

Aujourd’hui, ce principe de cumul des IJ n’est pas possible pour les artisans-commerçants et les salariés. Pour les professionnels libéraux, rien ne l’interdit, mais cette situation, bien que potentiellement rare, risque de faire des envieux. À terme le système instauré par ces caisses pourrait être supprimé dans un souci d’égalité entre les assurés sociaux. Ce qui réduirait encore l’autonomie des régimes de libéraux.

Concernant cette réforme, le vrai nœud du problème est qu’elle constitue une perte supplémentaire d’autonomie des caisses, une perte de la spécificité des professions libérales et un pas de plus vers un alignement général des assurés sociaux.

Quelle réforme auriez-vous souhaité ?

Il aurait été plus simple d’inviter les caisses à organiser des IJ sur un niveau équivalent à un PASS (41 136 € en 2021) ou inférieur (après tout, les salariés voient leurs IJ plafonnées à 1,8 SMIC, soit 0,8 PASS) et de laisser un an aux caisses pour s’organiser tant sur le financement que sur la gestion et les prestations.

Certainement, tout cela prend du temps… mais, pour paraphraser un rapport sénatorial récent : « le plus grand danger pour nos libertés […] c’est l’improvisation. »

Cet article issu de Previssima.fr est soumis au droit d'auteur, protégé par un logiciel anti-plagiat. Toute reproduction, rediffusion ou commercialisation totale ou partielle du contenu, sans l’autorisation expresse de la société Previssima, est interdite. Les informations diffusées sur Previssima.fr (hors forum) sont toutes vérifiées par un service juridique spécialisé. Toutefois, Previssima ne peut garantir l'exactitude ou la pertinence de ces données. L'utilisation des informations et contenus disponibles sur l'ensemble du site ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité de Previssima.