Jean Serrat : « Limitons le régime universel de retraite à un plafond sécu et conservons la CRPN pour le reste »

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Jean Serrat : « Limitons le régime universel de retraite à un plafond sécu et conservons la CRPN pour le reste »

Le 16 septembre 2019, les principaux syndicats des pilotes de ligne, des hôtesses et des stewards français ont manifesté aux côtés des professions libérales disposant de caisses de retraite autonome contre la future réforme des retraites envisagée par le gouvernement. Obéissant à un régime réglementé depuis 1952, la Caisse de retraite complémentaire du personnel navigant (CRPN) gère trois fonds principaux : le Fonds retraite qui paie les pensions et les réversions, le Fonds majoration qui complète une partie de la pension avant l'âge légal d'obtention de la retraite de base et le Fonds assurance qui intervient sous forme d'un capital en cas de décès et de perte de licence en service. Tout ceci pourrait disparaitre dans le futur système Delevoye qui prévoit de modifier les règles et surtout qui fond les 42 régimes de retraite actuel en un régime universel dans lequel la CRPN, et les autres caisses autonomes des libéraux et des régimes spéciaux, sont dissous. Une perspective effrayante pour les gérants de la CRPN et les représentants des professionnels navigants, inquiets de perdre un système qui fonctionne selon les particularités de leurs métiers et qui constatent la forte dévalorisation des pensions pour leurs assurés dans le régime universel.

Pour l’éprouver, penchons-nous sur les simulations faites par Jean Serrat, retraité navigant, ancien commandant de bord, élu au Conseil d’administration de la Caisse de retraite du personnel navigant (CRPN), qui fournit à Previssima, une étude d’impact sur les cotisations et les pensions des navigants.

Previssima – Quels sont les chiffres de la CRPN ?

Jean Serrat - Notre caisse a un résultat structurel déficitaire depuis 1992. En 2017, 600 millions d’euros de pensions ont été versées pour 476 millions d’euros de cotisations récoltées. Ce déficit technique est compensé par nos réserves : 5 milliards d’euros qui rapportent en moyenne 200 millions d’euros par an, nous permettant d’afficher un résultat positif au global.

En ce qui concerne les cotisations, il y a des différences de masses salariales :

  • Les navigants commerciaux (hôtesses et stewards) ont un salaire inclus à l’intérieur d’un Plafond de la Sécurité sociale (PASS), soit inférieur à 40 524 €
  • 70 % des assurés de la CRPN, principalement des pilotes, ont un salaire moyen compris entre 1 et 3 PASS, soit entre 40 524 € et 121 572 €
  • Un peu moins de 150 assurés ont un revenu allant jusqu’à 8 PASS, soit 324 192 € ; ces cas particuliers ne sont pas représentatifs de la population CRPN

Chez les hôtesses de l’air et les stewards, on a en moyenne des départs en retraite vers 58 ans, chez les navigants techniques (pilotes) ils sont aux alentours de 61 ans.

Que se passe-t-il pour les cotisations retraite des assurés de la CRPN ?

Il faut tout d’abord rappeler que, comme pour les autres assurés sociaux, les navigants s’acquittent d’une cotisation d’assurance vieillesse déplafonnée à 2,3 % pour leur régime de base. Au régime universel, elle passera à 2,81 %, soit une augmentation de +0.51 % de la cotisation vieillesse déplafonnée, non-contributrice de droits.

Actuellement, les cotisations retraite des navigants se répartissent de la manière suivante :

  • De 0 à 1 PASS, ils cotisent au régime de la CNAV à 15,45 % et au régime CRPN à 23,10 % (hors majoration), soit 38,55 % au total
  • De 1 à 8 PASS, ils ne cotisent plus qu’à la CRPN à hauteur de 23,10 %.

Dans le régime universel tel qu’il est proposé, les cotisations se répartissent ainsi :

  • De 0 à 3 PASS, les navigants cotiseront à 25,31 %
  • Au-delà de 3 PASS, ils ne cotiseront plus que pour la solidarité

Cela représente une baisse de plus de 13 % des cotisations retraite.

Or plus les cotisations baissent, plus le montant des pensions baisse. On peut limiter cet effet en maintenant une cotisation CRPN avec un niveau global de cotisation retraite de 38 % jusqu'à 1 PASS et les 23,10 % de 3 à 8 PASS.

La CRPN ne disparait-elle pas dans le régime universel ?

Ce point est en discussion avec Monsieur Delevoye. Nous avons rencontré Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraite, Jean-Baptiste Djebbari, député membre de la République en marche et pilote d’aviation, Christian Bourguelle, conseiller au Ministère des solidarités et Jean-Luc Izard, directeur du GIP Info Retraite. Il semble possible de maintenir une CRPN au-delà du régime universel.

Dans cette hypothèse, les répartitions entre cotisations s’établiraient de la manière suivante :

  • De 0 à 1 PASS, pour maintenir une cotisation globale à 38 %, on conserverait une cotisation CRPN à hauteur de 13 % en plus des 25,31 % prévus dans le régime universel. À nous de voir ce qu’on en fait.
  • Pour les salaires compris entre 1 et 3 PASS, il n’y aura pas de cotisation à la CRPN. En effet, les assurés cotiseront à hauteur de 25 % dans le nouveau régime, contre 23,10 % actuellement. Il n’y aura pas de place pour une cotisation CRPN.
  • En revanche, dans l’hypothèse où l’on conserve notre caisse, on pourrait rétablit une cotisation CRPN sur les revenus allant de 3 à 8 PASS, à hauteur de 23 %.

À noter que même en conservant une partie de notre système de retraite complémentaire, les cotisations globales passeront de 476 millions d'euros à 247 millions d'euros..

Que se passe-t-il pour les pensions de retraite des navigants ?

Avec le régime universel, on constate une très forte baisse du montant des pensions. Pour le vérifier, prenons un paramètre comme le rendement.

Dans un système en point, le rendement est assez facile à calculer. On prend la valeur de service du point divisé par la valeur d’achat du point. Dans le régime universel, il s’établirait à 5,5 %.

Actuellement à la CRPN, le taux utilisé pour le calcul de la pension est de 1,85 %. Divisé par le taux de cotisation de 23 %, cela nous donne un rendement à 7,9 %.

On constate d’emblée la baisse programmée des pensions.

Exemple : simulations calcul de la pension

Prenons un salarié qui cotise actuellement dans la première tranche, soit de 0 à 1 PASS, pendant 35 années de carrière :

  • Dans le système actuel son salaire annuel moyen est calculé sur les 25 meilleures années : 34 000 €
  • Son salaire annuel moyen est de 29 714 €
  • Le montant total de ses cotisations retraite s’élève à 260 000 €

Actuellement, s’il est à taux plein dans le régime de base (50 %), sa pension de base sera de 17 000 €/an, soit 1 417 €/mois. Ajoutons à cela sa pension CRPN (1,85 % X 29 714 X 35), on obtient 19 239 €/an, soit 1 603 €/mois.
Le montant total de sa pension est de 3 020 €/mois

Dans le régime universel, ce même salarié acquiert des points de retraite, à raison de 10 € le point, soit 26 000 points (260 000/10). La valeur d’achat du point prévue par le système Delevoye est fixé à 0,55 €. Ce salarié percevra donc une retraite du régime universel à 14 300 €/an, soit 1 182 €/mois.
Il perd ici jusqu’à 56,70 % de pension par rapport au régime actuel.

Dans le régime universel où l’on conserverait une CRPN à 13 %, il perçoit toujours une pension de 1 182 €/mois en provenance du régime universel à laquelle vient ajouter une pension versée par la CRPN.
En conservant un taux à 1,85 %, la pension liée à cette cotisation s’élèvera à 1 603 €/mois.
En tout, la pension de ce salarié serait alors de 2 795 €/mois.
Il perd tout de même 7,45 % de pension par rapport au système actuel.

En conservant la CRPN à 13 % pour les navigants, la baisse semble moins importante…

Attention, car il parait peu probable que le taux de pension de la CRPN reste à 1,85 %.

Pour maintenir l’équilibre du régime, il faudra probablement le revoir à la baisse. Selon mes estimations, un taux de 1,05 % pourrait permettre de conserver l’équilibre structurel du régime, mais dans ce cas, la pension globale mensuelle de notre salarié tombe à 2 102 €/mois. Il perd donc 36,86 % de sa pension par rapport au régime actuel.

Ce qui est considérable, mais ce n’est pas tout ce qu’il y a à perdre.

Qu’y a-t-il d’autre à perdre pour les personnels navigants ?

Prenons l’exemple précis d’un pilote de tracker (avion bombardier d'eau) mort en luttant contre un feu cet été 2019. Il avait 49 ans et était ancien pilote de chasse. Sa femme a 47 ans et 2 enfants.

Avec le système de la CRPN et ses particularités, on a d’abord calculé la retraite à taux plein de son défunt mari, puis sa veuve a pu bénéficier immédiatement de la réversion CRPN, soit 60 % de cette pension. De leur côté, les enfants percevront 12 % de réversion jusqu’à leur majorité ou jusqu’à la fin de leurs études.

Ce côté assurantiel est extrêmement important et il est totalement financé par le fonds pension de la CRPN. Comment le financerons-nous avec une baisse du montant des cotisations de 462 M€ à 283 M€ ?

Dans le système que Monsieur Delevoye nous présente, cette veuve devra attendre d’avoir 62 ans pour percevoir sa réversion. C’est dramatique.

Lorsqu’on leur expose ce cas de figure, les décideurs nous répondent que c’est de l’assurantiel. Traduisez : payez-vous une assurance à côté.

Que négociez-vous pour sauver le régime ?

Nous ne sommes pas contre un régime universel en points dans lequel 1 € cotisé donne droit aux mêmes acquis retraite.

Ce que nous défendons avec le Syndicat national du personnel navigant de l’aéronautique civile (SNPNAC), c’est la possibilité de maintenir ce régime universel de 0 à 1 PASS avec un taux de cotisation se situant entre 15 et 20 % et de permettre aux assurés de la CRPN de cotiser dans leur régime de retraite complémentaire à hauteur de 18 %, et au-delà d’un PASS, à hauteur de 23 %.

Cela nous permettrait de conserver nos particularités. Il restera à notre charge, la responsabilité d’adapter le taux CRPN, actuellement à 1,85 %, pour conserver l’équilibre financier de la caisse.

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