Grève due à une faute de l’employeur : jusqu’où un syndicat peut-il agir en justice ?

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Grève due à une faute de l’employeur : jusqu’où un syndicat peut-il agir en justice ?

Dans un arrêt du 22 janvier 2025, la Cour de cassation a clarifié les droits d’un syndicat à agir en justice lorsqu’une grève résulte d’une faute de l’employeur.

La Cour reconnaît qu’un syndicat peut demander à la justice de constater que les salariés ont été contraints de faire grève, en raison d’un manquement de leur employeur. Cependant, l’arrêt établit que le syndicat ne peut pas réclamer en justice l’indemnisation des grévistes pour leur perte de salaire, cette demande devant être uniquement à l’initiative des salariés eux-mêmes.

L’affaire qui a fait jurisprudence

Dans cette affaire, les salariés d’une succursale française (rattachée à une entreprise entièrement détenue par l’État portugais) ont cessé le travail entre le 17 avril et le 30 juin 2018, en réponse à un projet de restructuration.

A noter :

Une succursale est un établissement rattaché juridiquement à une entreprise mère, mais qui dispose d’une certaine autonomie dans ses activités.

Selon eux, cette cessation d’activité était une conséquence directe d’une faute de l’entreprise, qui aurait refusé de fournir aux représentants du personnel des informations essentielles sur l’avenir de la succursale. Un manque de transparence qui aurait engendré un stress et une inquiétude tels que les salariés se seraient trouvés contraints de faire grève. Par la suite, le syndicat a donc demandé à l'employeur le paiement des jours de grève.

Indemnisation par l’employeur des jours de grève : ce que dit la loi

En principe, un employeur n’a pas l’obligation de payer les jours de grève. Cependant, la jurisprudence prévoit une exception lorsque l’arrêt de travail est la seule issue pour les salariés dont les droits fondamentaux ont été bafoués, à la suite d’un manquement grave et volontaire de l’employeur. Dans ce cas, l’entreprise peut être condamnée à verser une indemnité compensant la perte de salaire.

Sur la base de cette jurisprudence, et face au refus de l’employeur d’indemniser les jours de grève, le syndicat a saisi la justice. Ses requêtes étaient les suivantes :

  • Obtenir des dommages-intérêts en raison du préjudice porté à l’intérêt collectif des travailleurs ;
  • Faire condamner l’employeur à régulariser la situation des salariés en leur versant les salaires non perçus, ainsi que certaines primes.

La cour d’appel a rejeté ces demandes, à la suite de quoi le syndicat s’est pourvu en cassation.

Les limites de l’action syndicale en justice

Selon l’article L. 2132-3 du Code du travail, un syndicat peut engager des actions en justice pour défendre l’intérêt collectif des travailleurs qu’il représente. Cette possibilité lui permet notamment de :

  • Dénoncer des irrégularités de l’employeur face aux lois ou aux conventions collectives ;
  • Demander la mise en conformité des pratiques à l’entreprise, sous peine de sanctions financières ;
  • Réclamer des dommages-intérêts en cas d’atteinte à l’intérêt collectif.

Toutefois, cette action syndicale ne peut pas se confondre avec l’intérêt individuel des salariés, conformément à l’arrêt n°11-22014 du 11 septembre 2012. En d'autres termes, un syndicat ne peut exiger en justice la régularisation des situations personnelles des travailleurs concernés par une faute de l’employeur. Cette démarche relève de chaque salarié, qui reste libre de défendre ses propres intérêts.

Par exemple : Un syndicat peut contester un dispositif illégal de gestion des congés ou des jours de RTT, mais il ne peut pas réclamer individuellement le rétablissement des droits de chaque salarié concerné. De la même manière, il peut exiger que l’employeur respecte le maintien de la rémunération des jours fériés chômés, mais pas obtenir en justice le versement des salaires correspondants.

Ce que la Cour de cassation a décidé

Dans cet arrêt du 22 janvier 2025, la Haute juridiction a donc appliqué ces principes pour répondre à la demande du syndicat. En résultent les décisions suivantes :

  • Le syndicat peut demander à faire reconnaître que la grève était imposée par une faute de l’employeur.

La Cour a d’abord confirmé que si les salariés étaient contraints d’arrêter le travail pour défendre leurs droits élémentaires (face à une faute grave et volontaire de leur employeur), ce dernier peut être tenu de compenser la perte de salaire.

Elle a ensuite censuré la décision de la cour d’appel, qui avait rejeté la demande du syndicat visant à faire constater cette situation. Selon la Cour, établir qu’une faute de l’employeur a obligé les salariés à faire grève relève bien de la défense de l’intérêt collectif de la profession.

En pratique, cela signifie que le syndicat peut obtenir en justice une reconnaissance de la faute de l’employeur et, potentiellement, des dommages-intérêts pour le préjudice causé à l’ensemble des travailleurs représentés.

  • Toutefois, il ne peut pas exiger le paiement des salaires des grévistes.

La Cour de cassation a en revanche confirmé que le syndicat ne pouvait pas demander le versement, par l’employeur, des jours de salaires perdus des grévistes. Cette action, relevant de la situation individuelle de chaque salarié, doit être menée par les intéressés eux-mêmes.

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