Le risque de cette situation est évident : donner le sentiment que les cotisations sociales sont versées dans un tonneau des Danaïdes. Si ceux cotisant beaucoup développent le sentiment que leur effort contributif sur leur travail ne sert que marginalement à leur procurer prestations sociales et retraite future, alors notre système perdra sa légitimité à leurs yeux.
Financement de la protection sociale : l’IPS préconise d’alléger le poids des cotisations sur le travail

En France, les cotisations sociales sont traditionnellement perçues comme un salaire différé : en contrepartie de leurs versements, les salariés acquièrent des droits (retraite, indemnités journalières, prestations familiales, etc.). Plus on cotise, plus on est censé recevoir. Une logique simple et équitable, en théorie.
Mais cette mécanique de donnant-donnant semble de plus en plus remise en question. Dans une étude publiée aujourd’hui, l’Institut de la Protection Sociale (IPS) tire la sonnette d’alarme : plus de 30 % des cotisations versées n’ouvrent aucun droit supplémentaire à ceux qui les paient.
Pour l’IPS, cette situation est non seulement injuste, mais potentiellement explosive. Elle pourrait nourrir une contestation profonde des salariés, menaçant à terme la légitimité - et donc la pérennité - du modèle social français.
Quelques fondamentaux pour bien appréhender le sujet
Avant de plonger dans le vif du sujet, il semble utile de revenir sur quelques fondamentaux. Les cotisations sociales, prélevées sur le salaire brut, servent à financer les prestations sociales. Contrairement à l’impôt, leur objectif n’est pas de redistribuer, mais de générer des droits à prestations.
Mais dans la réalité, toutes les cotisations ne produisent pas les mêmes effets. Certaines ouvrent des droits de manière directe et proportionnelle, d’autres de façon partielle, et certaines… pas du tout.
L’IPS illustre cette disparité à travers plusieurs exemples :
- La cotisation complémentaire prévoyance est pleinement productive de droits : il existe une correspondance claire entre le montant versé et les prestations attendues, avec des seuils et des plafonds cohérents ;
- La cotisation vieillesse de base est partiellement productive : la pension de retraite de base est calculée sur une assiette plafonnée, alors que la cotisation s’applique à l’ensemble du salaire ;
- La cotisation allocations familiales, enfin, est improductive : son montant n’a aucune incidence sur les prestations perçues, qui sont les mêmes quel que soit le niveau de cotisation.
Près d’un tiers des cotisations prélevées sont en réalité des taxes sociales
C’est l’un des constats les plus frappants de l’étude : près d’un tiers des cotisations sociales prélevées ne donnent lieu à aucun droit. Autrement dit, ce ne sont plus des cotisations, mais des taxes sociales : des impôts qui ne disent pas leur nom.
Et plus le salaire grimpe, plus le phénomène s’accentue : pour un revenu de 40 000 € annuel, 69 % des cotisations sont productives, contre seulement 53 % pour un revenu à 100 000 €. Pour les plus hauts revenus, cette part grimpe même à 100 %. Ainsi, « dans le meilleur des cas, à partir du 9 septembre, les cotisations sociales ne bénéficient plus à ceux qui les paient » explique ainsi le communiqué de presse de l’étude.
À première vue, cela pourrait paraître normal dans le système redistributif à la française. Mais pour l’IPS, ce serait « mal poser le problème », pour deux raisons :
- La fiscalité organise la redistribution selon le niveau de vie. Ce n’est pas le rôle des cotisations sociales.
- Les cotisations sont censées être un salaire différé, pas un impôt.
La confusion des différentes logiques – couplé à la très grande complexité du calcul des cotisations sociales - rend le système social illisible. En toile de fond, le risque de rejet, particulièrement pour ceux dont les salaires dépassent le plafond annuel de la Sécurité sociale (47 100 €) qui contribuent plus, mais reçoivent proportionnellement moins.
Pour l’IPS, cette situation, décrite comme « très grave », porte en germe le développement de conflits intergénérationnels.
L’IPS appelle à chercher d’autres pistes de financement pour réduire les prélèvements sur le travail
« L’heure est à une refonte profonde des mécanismes de financement de notre protection sociale ». Mais alors, comme sortir de l’impasse ?
Dans un premier temps en clarifiant le fonctionnement des cotisations sociales obligatoires : « pour les revenus de remplacement (arrêt de travail, invalidité, garanties décès et retraite), il s’agit d’instaurer une cohérence absolue » entre ce que l’on cotise et ce que l’on reçoit. À l’inverse, les droits généraux, comme les allocations familiales et la santé, pourraient être financés par des prélèvements fiscaux ou parafiscaux.
Ensuite, en allégeant les cotisations pesant sur le travail, ce qui impliquerait d’aller chercher d’autres pistes de financement de la protection sociale, comme :
- L’instauration de la TVA sociale, qui consiste à augmenter la part des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée affectée au financement de la Sécurité sociale. À noter que la TVA sociale existe déjà dans les faits. En 2023 par exemple, 28,57 % des recettes de la TVA étaient attribuées au financement de la Sécurité sociale afin de compenser les allègements de cotisations sociales ;
- Le transfert de cotisations assurance chômage pour alléger les cotisations en contrepartie d’un durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation chômage ;
- Ou encore la taxation de l’ensemble des paiements effectués par les acteurs économiques.
Des propositions qui peuvent faire écho à la dernière prise de position d’Emmanuel Macron sur le sujet. Dans l’émission les défis de la France, le président avait en effet estimé que le financement de notre modèle social « repose beaucoup trop sur le travail ». Affaire à suivre.