Fin de vie : deux propositions de loi pour un débat éthique et politique majeur à l’Assemblée

Le débat sur la fin de vie revient au cœur de l’actualité législative française. Près d’un an après avoir été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale, le sujet est relancé sous une forme inédite : deux propositions de loi distinctes, l’une sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide active à mourir.
Ces textes, déposés le 6 mars 2025, seront débattus fin mai au Palais-Bourbon. Bien que François Bayrou ait opté pour une scission des textes, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a obtenu qu'ils soient examinés ensemble, prévoyant ainsi un double vote solennel sur les deux volets.
Fin de vie : ce que dit la loi
Actuellement, le cadre légal français de la fin de vie repose principalement sur la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui complète un socle juridique établi depuis la fin des années 1990. Cette loi affirme les principes suivants :
- Le droit pour toute personne d’accéder aux soins palliatifs;
- Le refus de l’obstination déraisonnable ;
- Le respect du consentement éclairé du patient ;
- La possibilité de rédiger des directives anticipées et de désigner une personne de confiance;
- La possibilité de sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsqu’un patient en fin de vie souffre de douleurs réfractaires aux traitements ou choisit d’interrompre un traitement vital, entraînant des souffrances qui ne sont pas supportables.
En revanche, l’euthanasie – c’est-à-dire l’administration d’un produit létal par un soignant – et le suicide assisté – dans lequel le patient se donne la mort avec une aide médicale – sont interdits par la loi française, et passibles de poursuites pénales.
C’est dans ce contexte, marqué par des limites juridiques mais aussi par un besoin croissant d’accompagnement digne de la fin de vie, que le débat sur une éventuelle légalisation de l’aide active à mourir s’est intensifié ces dernières années.
A noter :
La genèse de la révision législative sur la fin de vie En septembre 2022, le gouvernement Macron a lancé une large concertation nationale sur l’aide active à mourir, invitant des professionnels de santé, un groupe parlementaire transpartisan et une Convention Citoyenne de 184 français tirés au sort, à réfléchir à des propositions d’amélioration de l’accompagnement de la fin de vie.
Les conclusions de la Convention citoyenne La Convention a rendu ses conclusions en avril 2023. 75 % de ses membres estiment que la loi Claeys-Leonetti ne répond pas entièrement aux besoins des patients en fin de vie. Parmi les propositions d’amélioration figurent la légalisation encadrée de l’aide active à mourir, un meilleur accès aux soins palliatifs, ainsi que des améliorations dans l’accompagnement de la souffrance des patients et de leurs familles.
|
Soins palliatifs : un consensus politique et médical
Après dix mois d’arrêt suite à la dissolution de juin 2024, le sujet fait son retour sur les bancs de l’Assemblée nationale. La première proposition de loi, portée par Annie Vidal (parti Renaissance), vise à renforcer l’offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Selon la députée, ce texte a une vocation principalement organisationnelle : il s’agit de garantir un accès équitable aux soins d’accompagnement, de renforcer les moyens des équipes médicales et d’améliorer l’articulation entre hôpital et domicile.
L’aide active à mourir : un débat éthique plus sensible
La seconde proposition de loi, défendue par Olivier Falorni (Les Démocrates) est plus controversée. Elle prévoit l’instauration d’un droit à une aide active à mourir sous conditions strictes, sans pour autant employer explicitement les termes de « suicide assisté » ou « euthanasie ». Cette aide à mourir serait encadrée par cinq critères cumulatifs d’éligibilité :
- Être majeur;
- Être français ou résident stable ;
- Être capable d’un consentement libre et éclairé;
- Être atteint d’une « affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale »;
- Affection provoquant des souffrances physiques ou psychiques.
Cette version est issue du compromis trouvé avant la dissolution de l’Assemblée en 2024. À l’époque, les discussions avaient déjà franchi l’étape de cet article polémique, qui posait les bases de l’aide à mourir. Toutefois, plusieurs points restent à débat - entre autres, la temporalité du pronostic vital, la question des directives anticipées, non prévues par le texte, et le rôle du médecin (décision individuelle ou collégiale).
La stratégie législative du double vote solennel
Les deux textes seront examinés successivement mais dans une discussion commune, à partir du 12 mai. Un double vote solennel est prévu pour le 27 mai, à la même heure, selon les termes fixés par les rapporteurs.
Ce choix d'un vote simultané sur les deux textes a pour but de prévenir toute tentative d’obstruction parlementaire, particulièrement redoutée sur le volet de l’aide à mourir. En fixant les votes pour les deux propositions le même jour, les parlementaires ne peuvent pas choisir d’entraver l’une des propositions sans risquer de faire échouer l’ensemble de la discussion, y compris la partie qui a le plus de chances de recevoir un large soutien, comme celle sur les soins palliatifs.
« Ce sera deux votes ou rien » explique Olivier Falorni, qui espère ainsi éviter le « sabotage législatif » qu’avait connu sa précédente proposition de loi en 2021, bloquée malgré un large soutien populaire.
Une liberté de vote
Les débats à venir ne suivent pas les lignes classiques entre majorité et opposition. Tous les groupes parlementaires ont prévu de laisser la liberté de vote à leurs membres. Cela reflète la dimension éthique du sujet, qui transcende les appartenances politiques.
Par ailleurs, le vote du 27 mai ne marque pas la fin d’un processus, puisqu’il ne s’agira que de la première lecture à l’Assemblée nationale. Le texte devra ensuite être débattu au Sénat, puis éventuellement faire l’objet d’une commission mixte paritaire. Olivier Falorni espère une adoption définitive avant 2027, échéance présidentielle.