Dix ans après la réforme, le congé parental reste une affaire de mères

Une décennie après la réforme de 2015, censée rééquilibrer le recours au congé parental entre les mères et les pères, le bilan reste contrasté. Une étude publiée le 17 juillet 2025 par le Centre d’études de l’emploi et du travail met en lumière l’échec de la réforme, qui visait à impliquer davantage les pères dans le soin de leurs enfants.
Si le texte a pu favoriser un retour plus précoce à l’emploi pour certaines mères, il n’a en revanche pas enclenché le virage culturel et structurel attendu sur le partage des responsabilités parentales.
Un dispositif réformé pour inciter au partage
En 2015, le gouvernement avait modifié les règles du congé parental, en particulier pour les naissances à partir du 2ème enfant. L’objectif était le suivant : inciter les pères à prendre leur part de responsabilité en conditionnant la durée maximale d’indemnisation à un partage effectif du congé entre les deux parents.
Ainsi, la durée de versement de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE) a été réduite de 3 ans à 2 ans lorsqu’un seul parent en faisait usage, rendant impossible, en pratique, qu’une mère perçoive ladite indemnité pendant 3 années consécutives. Cette réforme reposait sur l’idée qu’au terme de la 2ème année - si ce n'est avant - le père prendrait le relais.
En pratique, l’effet attendu ne s’est pas produit : le recours au congé parental indemnisé par les pères est resté extrêmement faible, voire marginal.
Un partage resté théorique
Selon les données analysées par le CEET, pour l’ensemble des pères d’un 2ème enfant ou plus, la réforme de 2015 n’a entraîné qu’un très léger sursaut : leur recours au congé parental a progressé de 1,4 point à temps partiel, et de seulement 0,2 point à temps plein.
Et même dans les situations les plus directement concernées par la réforme – lorsque la mère a dû renoncer à une 3ème année indemnisée – l’effet reste limité : +4,4 points pour les pères à temps partiel, et +0,6 point à temps plein. Autrement dit, le relais attendu par les pères ne s’est pas réellement produit, même quand il était rendu quasiment indispensable.
La contrainte financière introduite par la réforme n’a donc pas suffi à inverser la logique genrée du soin aux enfants. Le congé parental reste, dans l’immense majorité des cas, assumé par les mères.
Des freins structurels et culturels
Plusieurs facteurs expliquent cet effet relativement faible. Tout d’abord, l’impact économique d’un congé parental reste plus lourd pour les hommes, dont les revenus sont statistiquement plus élevés que ceux des femmes. Or, renoncer à un salaire plus important pour une indemnité forfaitaire peu attractive constitue une perte difficile à absorber pour de nombreuses familles.
Mais au-delà de cette réalité financière, les stéréotypes de genre continuent de peser lourdement : la prise en charge des jeunes enfants demeure largement perçue comme une responsabilité maternelle. Même parmi les hommes à revenus modestes ou à temps partiel - qui pourraient bénéficier de l’indemnité sans grand bouleversement de la situation familiale - la dynamique reste la même : ce sont encore les mères qui assurent la présence auprès de l’enfant.
L’étude pointe également le rôle dissuasif de certaines pratiques professionnelles : les stigmates liés à la prise de congé par les pères, notamment dans les entreprises, freinent le partage des congés parentaux.
Un effet partiel sur le retour à l’emploi des mères
L’autre ambition de la réforme de 2015 visait à accélérer le retour à l’emploi des mères. De ce point de vue, le bilan est plus nuancé. Le taux d’emploi des mères de deux enfants ou plus au cours de la 3ème année de l’enfant est passé de 56,9 % à 62,4 %, soit une progression de 5,5 points.
Mais en y regardant de plus près, seul un tiers des mères contraintes de renoncer à une 3ème année indemnisée sont effectivement retournées en emploi à cette échéance. Les deux tiers restants sont restés sans activité ou ont prolongé leur congé parental sans compensation financière. Autrement dit, si la réforme a permis à certaines femmes de ne pas mettre leur carrière entre parenthèses trop longtemps, elle a aussi exposé un grand nombre de femmes à une précarisation et une dépendance financière.
Des modes de garde informels en renfort
Le retour à l’emploi des mères a également soulevé mécaniquement la question de la garde des enfants, particulièrement entre deux et trois ans, âge auquel l’accès à une place en crèche reste rare, et la scolarisation encore peu fréquente.
Les données exploitées par le CEET montrent que l’augmentation de la perception du complément de libre choix du mode de garde (CMG) reste modérée : +3 points seulement. Ainsi, seules 54 % des familles dont la mère est retournée en emploi perçoivent le CMG au cours de la 3ème année. Pour les autres, le recours à des modes de garde informels semble s’être imposé : grands-parents, proches, ou garde non déclarée.
Ce décalage entre retour à l’emploi et développement des modes de garde formels suggère ainsi un transfert invisible (mais conséquent) de la charge de garde maternelle, non pas sur le père, mais sur l’entourage familial ou sur des solutions restant hors radar des institutions.
Vers une nouvelle réforme en 2025 ?
Alors que l’exécutif réfléchit, depuis début 2024, à une nouvelle réforme du congé parental, l’étude du CEET arrive à point nommé. L’idée d’un congé plus court mais mieux indemnisé fait son chemin dans les discussions gouvernementales, appuyée notamment par les recommandations de la Cour des comptes.
Mais pour espérer un réel partage du congé parental entre les parents, une simple incitation financière ne suffira sans doute pas. Car l’enjeu est surtout culturel : il s’agit de faire évoluer les représentations, les pratiques managériales, et les politiques d’accueil de la petite enfance pour rendre ce partage véritablement possible et accessible.