Comptes bancaires des mineurs : une décision structurante sur les limites du pouvoir parental et le rôle de la banque

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Comptes bancaires des mineurs : une décision structurante sur les limites du pouvoir parental et le rôle de la banque

Dans un arrêt rendu le 2 juin 2025, la Cour de cassation rappelle que les parents ne peuvent, sans accord mutuel, disposer librement des sommes placées sur le compte de leurs enfants mineurs.

Des virements unilatéraux depuis les comptes d’épargne des enfants

Dans l’affaire en question, un père de trois enfants, divorcé, avait ordonné à sa banque - une fédération du Crédit Mutuel - d’effectuer trois virements totalisant 15 000 depuis les livrets A de ses enfants mineurs vers le compte d’une société commerciale qu’il gérait. Agissant en tant qu’administrateur légal, il considérait cette opération comme régulière.

Mais la mère des enfants, également titulaire de l’autorité parentale, a découvert les transferts et assigné la banque en justice, estimant que celle-ci avait manqué à son devoir de prudence en exécutant des actes de disposition sans son consentement.

Un acte de disposition soumis au double accord des parents

Dans sa décision, la Cour de cassation précise que le litige ne porte pas tant sur l’usage qui a été fait de l’argent des enfants, que sur la régularité juridique de l’opération elle-même. En effet, le retrait de sommes inscrites sur un compte ouvert au nom d’un mineur - surtout s’il s’agit de capital, pas seulement d’intérêts - constitue un acte de disposition, c’est-à-dire un acte juridique important qui ne peut pas être accompli unilatéralement.

Conformément aux articles 389-5 ancien et 505 ancien du Code civil, applicables à la date des faits en 2012, les parents, en tant qu’administrateurs légaux, doivent impérativement agir ensemble pour réaliser ce type d’acte. En cas de désaccord entre eux, l’autorisation du juge des tutelles est requise.

Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 vient d’ailleurs préciser cette règle en classant expressément dans les actes de disposition toute modification d’un compte ou livret ouvert au nom d’un mineur, ce qui inclut les retraits partiels dès lors qu’ils concernent le capital et non uniquement les intérêts.

Actes d’administration : de quoi parle-t-on ?

Dans le cadre de la protection des mineurs ou des majeurs protégés, le droit distingue les actes d’administration des actes de disposition.

Les actes d’administration désignent des opérations courantes, qui visent à gérer, conserver ou entretenir les biens sans en modifier la substance ou la valeur patrimoniale. Ils peuvent être réalisés par un seul des administrateurs légaux, sans autorisation du juge. Sont concernés :

  • L’ouverture d’un compte ou d’un livret d’épargne au nom du mineur (à condition que ce soit le premier) ;
  • L’emploi ou le réemploi de certaines sommes d’argent, lorsqu’il ne s’agit ni de capitaux importants ni d’excédents de revenus nécessitant autorisation ;
  • La perception de revenus (salaires, loyers…) ;
  • La réception de capitaux sans changement dans leur affectation ;
  • La quittance d’un paiement ;
  • La demande d’une carte bancaire de retrait.

À l’inverse, les actes qui modifient de manière significative le patrimoine du mineur (vente, donation, retrait du capital d’un livret, etc.) sont qualifiés d’actes de disposition, nécessitant l’accord des deux parents ou, à défaut, l’autorisation du juge des tutelles.

Un devoir de contrôle renforcé pour les banques

En exécutant seule l’ordre du père sans vérifier si l’autre parent avait donné son accord (ou à défaut, sans s’assurer d’une autorisation judiciaire), la banque a manqué à ses obligations. Elle engage donc sa responsabilité civile et doit rembourser les sommes indûment prélevées sur les comptes des enfants.

Sur le plan juridique, cette décision apporte une clarification importante, puisqu’elle élargit l’interprétation du devoir de vigilance bancaire : il ne s’agit plus seulement de détecter des opérations anormales ou frauduleuses, mais également de vérifier si les conditions légales de validité des actes de disposition sont réunies.

En renforçant la protection patrimoniale des mineurs, l’arrêt fait aussi peser sur les établissements bancaires une obligation de contrôle plus lourde, qui pourrait en pratique entraîner une présence plus intense de la banque dans l’environnement familial.

À court terme, les établissements financiers devront probablement revoir leurs procédures internes pour exiger systématiquement la production d’un accord écrit signé des deux titulaires de l’autorité parentale, ou d’une décision du juge des tutelles, pour toute opération affectant le capital d’un compte détenu par un mineur.

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