« Bloquons tout » : les salariés absents le 10 septembre seront-ils couverts par le droit de grève ?

Le 10 septembre 2025 s’annonce comme une journée de mobilisation particulière. À l’appel du collectif citoyen « Bloquons tout », des actions de blocage et des arrêts de travail sont annoncés dans de nombreux secteurs. Mais pour les salariés du privé qui ne se rendront pas au travail ce jour-là, une question se pose : seront-ils protégés par le droit de grève ?
« Bloquons tout » : un mouvement de colère né sur les réseaux sociaux
Lancé dès l’été sur les réseaux sociaux, le mot d’ordre « Bloquons tout » a rapidement fédéré des colères diverses. Réforme des retraites, 211 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises, dégradation des services publics, optimisation fiscale, taxe Zucman, « trahison » des législatives de 2024… Les sujets de mécontentement sont nombreux. Mais un point de crispation a cristallisé les débats : la proposition de budget de François Bayrou, comportant notamment la suppression de deux jours fériés, jugée inacceptable par de nombreux travailleurs.
Le mouvement se veut citoyen et apartisan, rassemblant précaires, étudiants, retraités et salariés, souvent réunis en assemblées générales locales. Plusieurs secteurs stratégiques (transports, énergie, éboueurs, raffineries, taxis…) ont déjà relayé l’appel à la grève.
Toutefois, les principales confédérations syndicales nationales ont préféré fixer une journée d’action distincte le 18 septembre. L’appel du 10 septembre se retrouve donc porté surtout par des collectifs citoyens, avec un soutien ponctuel de responsables politiques comme Jean-Luc Mélenchon (LFI). Cette configuration rend l’ampleur de la mobilisation difficile à prévoir.
Droit de grève et mouvement national : quelle protection pour les salariés ?
Si le mot d’ordre « Bloquons tout » peut laisser entendre que tout est permis, il faut distinguer la liberté de manifester et le droit de grève. Pour être protégé par le droit de grève, un salarié doit répondre aux conditions juridiques fixées par la jurisprudence, à savoir :
- Un arrêt de travail collectif : en principe, une grève suppose qu’au moins deux salariés de l’entreprise y prennent part. Mais un salarié isolé peut parfaitement se joindre à un appel national et être reconnu comme gréviste (Cass. soc., 29 mars 1995).
- Pour le 10 septembre, la CGT « appelle à construire la grève et les débrayages partout où c’est possible ». Cette première condition est donc remplie.
- Des revendications professionnelles : si certaines demandes relatives au mouvement du 10 septembre sont politiques (référendum, défense des services publics), d’autres relèvent clairement du champ professionnel : salaires, retraites, assurance chômage, recours aux CDD, congés payés… Or, une seule revendication professionnelle suffit à qualifier le mouvement de grève, même si elle coexiste avec des revendications politiques (Cass. soc., 29 mai 1979 ; Cass. soc., 15 févr. 2006).
- Information de l’employeur : aucun préavis n’est nécessaire dans le privé. Mais l’employeur doit être informé des revendications au moment de l’arrêt de travail. Dans le cadre d’un mouvement national, les appels syndicaux, tracts et annonces publiques remplissent cette condition.
En clair, un salarié du secteur privé qui cessera le travail le 10 septembre en réponse à l’appel « Bloquons tout » sera considéré comme gréviste au sens du droit. Il bénéficiera donc de la protection attachée à l’exercice du droit de grève : impossibilité d’être licencié (sauf faute lourde), interdiction de toute sanction disciplinaire ou de discrimination. Une analyse partagée par l'avocat en droit du travail Christophe Noël.
À NOTER
En ce qui concerne les salariés du public, un préavis d’au moins cinq jours francs doit être déposé avant la grève. Celui-ci doit provenir d’une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la branche professionnelle concernée ou au sein de l’entreprise, de l’organisme ou du service visé. C’est le cas pour le 18 septembre, mais seulement dans certaines branches pour le 10 septembre (fédérations FNIC-CGT industries chimiques, CGT commerce et service et certaines unions départementales).
Attention : « bloquer tout » n’est pas un droit
Si l’arrêt de travail est couvert par le droit de grève, le blocage des entreprises ne l’est pas.
- L’occupation de locaux est jugée illicite par la jurisprudence (Cass. soc., 21 juin 1984).
- Les piquets de grève sont légitimes à condition de ne pas empêcher les non-grévistes d’accéder au travail.
Autrement dit, le droit de grève protège l’absence du salarié, mais pas le blocage des lieux de travail ou les violences. Ces comportements peuvent être sanctionnés, voire poursuivis pénalement.
Une grève à la fois sociale et politique
Depuis les années 1970, la Cour de cassation admet que des revendications professionnelles peuvent être tournées vers le gouvernement, même si l’employeur ne peut pas y répondre directement. La défense des retraites, des jours fériés ou de l’assurance chômage entrent donc dans ce cadre.
Le 10 septembre, les salariés du privé qui se joindront au mouvement « Bloquons tout » seront juridiquement protégés par le droit de grève, tant qu’ils respectent ces règles : arrêt du travail, revendications professionnelles et respect du droit au travail des non-grévistes.
L’ampleur de la mobilisation reste une inconnue. Mais sur le plan du droit, la réponse est claire : oui, les salariés absents seront couverts par le droit de grève, à condition de ne pas confondre grève et blocage.