Antoine Brinquin (UFML) : « je pense qu’il y a une véritable volonté de tuer la médecine libérale en France »

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Antoine Brinquin (UFML) : « je pense qu’il y a une véritable volonté de tuer la médecine libérale en France »
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En première ligne contre l’épidémie de Covid-19, les professionnels de santé – médecins, infirmiers, aides-soignants, etc., se sont lancés dans un autre combat, celui de la reconnaissance.

Revalorisation des salaires, refondation de l’hôpital public, meilleures conditions de travail, etc., sont parmi les revendications portées par les soignants battant le pavé.

Pour ceux d’entre eux qui ont été infectés par le Covid-19, le Gouvernement a annoncé une reconnaissance automatique en maladie professionnelle, ce qui a contribué à faire émerger certaines problématiques méconnues jusqu’alors, mises en lumière par l'Union française pour une Médecine Libre (UFML), syndicat indépendant de médecins.

Il s’agit notamment des difficultés de prise en charge rencontrées par les praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés, dont le régime spécifique n’offre aucune couverture accident du travail-maladie professionnelle, sauf adhésion à une assurance volontaire.

Antoine Brinquin, médecin généraliste et chargé de mission au sein de l’UFML, revient sur ces différents points dans un entretien accordé à Previssima.

Previssima - En avril dernier, Olivier Véran, ministre de la Santé, promettait une reconnaissance automatique du Covid-19 en maladie professionnelle pour les soignants, principe réaffirmé par le communiqué de presse publié le 30 juin dernier par le ministère du Travail. Qu’en est-il actuellement ?

Antoine Brinquin - Il faut bien évidemment que le Covid-19 soit reconnu comme maladie professionnelle, c’est une question de décence face au sacrifice des soignants. Mais à l’heure actuelle, les décrets n’ont toujours pas été publiés, ce qui pourrait présenter un problème pour les praticiens en cours de demande de reconnaissance en maladie professionnelle.

Plus précisément, la veuve d'un médecin libéral conventionné décédé du virus, a essuyé un refus de CPAM de reconnaître le caractère professionnel de la maladie ayant entraîné le décès de son époux et ce, du simple fait que ce dernier n’était pas souscripteur de l’assurance volontaire d’accident du travail (AVAT), laquelle couvre, à titre facultatif, le risque accident du travail-maladie professionnelle (AT-MP) des soignants conventionnés.

Autre point, la reconnaissance systématique du Covid-19 ne devrait s’appliquer qu’aux formes graves de la maladie ; il est donc fort probable que de nombreuses personnes concernées ne se verront pas attribuer la reconnaissance en maladie professionnelle. Le diable étant dans les détails, il convient d’attendre la publication des décrets pour être fixés.

D’un point de vue plus global, nous réclamons, au sein de l’UFML, la reconnaissance automatique du Covid-19 en maladie professionnelle pour l’ensemble des soignants conventionnés et son extension à toutes les pathologies.

Sur le sujet, votre syndicat communiquait fin avril sur les dangers de l’automatisation de la reconnaissance en maladie professionnelle pour les soignants atteints du Covid-19. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet, ce principe d’automatisation de la reconnaissance en maladie professionnelle des soignants atteints du Covid-19 nous a fait réagir. Nous pensons qu’en proposant cette mesure, l’Etat avait uniquement pensé au cas des praticiens salariés, occultant le problème posé par les libéraux conventionnés, lesquels dépendent d’un régime de Sécurité sociale spécifique, celui des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés – PAMC, qui n’offre strictement aucune couverture du risque AT-MP, à moins de souscrire cette fameuse AVAT, qui ne bénéficie actuellement qu’à 10 % des professionnels de santé conventionnés.

Si nous avons décidé de communiquer sur le sujet, c’était pour mettre en lumière la méconnaissance de cette assurance volontaire et les conséquences d’une absence de couverture par l’AVAT, à savoir une éventuelle non-prise en charge du risque AT-MP en cas d’infection au Covid-19 ou de toute autre pathologie.

D’ailleurs, à la suite de notre communiqué de presse, Nicolas Revel, le directeur de la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM), a tenté de rassurer, annonçant que cette reconnaissance du Covid-19 en maladie professionnelle se ferait sans obligation de souscription à une assurance volontaire en contrepartie. Mais dans les faits, rien ne s’est passé à ce jour.

Pourquoi tant de méconnaissance autour de cette assurance volontaire d’accident du travail (AVAT), indispensable aux professionnels libéraux conventionnés pour être couverts au titre du risque AT-MP ?

La question de la méconnaissance de l’AVAT constitue un problème kafkaïen qui existe depuis plus de 50 ans. En effet, lors de la création du risque AT-MP, les médecins libéraux conventionnés ont été oubliés. Alors, afin de leur offrir une couverture accident du travail-maladie professionnelle, la Sécurité sociale a créé l’AVAT, assurance optionnelle regroupant des prestations en espèces (indemnités journalières, etc.) et en nature (remboursement de soins AT-MP).

Cependant, cette assurance ne se révèle pas avantageuse pour les prestations en espèces, la plupart des libéraux étant déjà couverts pour ce risque par un contrat de prévoyance. Ce qui s’avère toutefois intéressant dans l’AVAT, c’est la prestation en nature pour laquelle nous ne sommes pas pris en charge par l’Assurance maladie.

A l’heure actuelle, 9 soignants conventionnés sur 10 n’ont pas souscrit cette assurance. En regardant le détail, ils pensent qu’ils sont assurés par leur contrat prévoyance mais occultent la prise en charge des soins en cas d’accident du travail-maladie professionnelle. Ils estiment à tort qu’ils peuvent bénéficier d’un remboursement Sécu des soins de santé liés à un accident ou une maladie d’origine professionnelle, au titre d’une maladie ordinaire, à l’instar des autres travailleurs indépendants. Ce qui n’est pas entièrement faux dans les faits : lorsqu’ils envoient à la CPAM des feuilles de soins AT-MP, la caisse prend souvent en charge ces dépenses de santé, mais pas systématiquement. La situation est tellement absurde que les CPAM elles-mêmes ne savent pas comment gérer les prises en charge.

Alors, afin de mettre fin à cette confusion, nous demandons au Gouvernement d’intégrer le risque AT-MP dans le panier de soins dont les praticiens libéraux conventionnés peuvent bénéficier, cela, sans contrepartie financière.

En outre, l’institut de la protection sociale (IPS) alertait il y a quelques semaines sur l’absence d’application de la couverture AT/MP pour les ex-affiliés au RSI relevant désormais du Régime général. La CNAM a réagi rapidement, rétablissant leur prise en charge en cas d’AT-MP, excluant toutefois celle des soignants conventionnés...

En réalité, les CPAM ont adopté pour les travailleurs indépendants ex-affiliés au Régime social des indépendants (RSI), les mêmes dispositions applicables aux praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés, c’est-à-dire, une absence de prise en charge du risque accident du travail-maladie professionnelle.

Or, ces indépendants sont couverts en cas de maladie ou d’accident survenu au cours de l’exercice de l’activité professionnelle et doivent être indemnisés par la CPAM au titre de l’assurance maladie tant pour les soins de santé que pour les indemnités journalières.

La Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) a immédiatement rétabli la situation, éludant toutefois encore le problème de l’absence de prise en charge des soignants conventionnés. Nous pensons qu’il aurait été judicieux, à ce moment-là, d’intégrer les PAMC conventionnés au même dispositif de prise en charge AT-MP que les autres travailleurs indépendants.

Vous réclamez, par ailleurs, la fin du régime spécial des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés. Pour quelle raison ?

Nous souhaitons remettre à plat le régime spécifique aux praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés.

C’est un régime spécial, qui, en contrepartie de la perte de notre liberté tarifaire – la consultation de médecine générale étant plafonnée à 25 €, nous permet de bénéficier d’une réduction de notre cotisation d’assurance maladie - laquelle passe de 6,5 % à 0,1 % - mais qui nous assure une couverture qu’au titre de la seule maladie.

Plus largement, je pense qu’il y a une véritable volonté de tuer la médecine libérale en France : nous, médecins conventionnés, acceptons de diviser par deux notre revenu par acte, en contrepartie d’un avantage dérisoire qui n’a pas évolué depuis 50 ans et qui exclut la couverture du risque AT-MP. Ce système conventionnel constitue certes, une mesure de justice sociale, mais il coûte très cher aux soignants conventionnés.

Et pour cause, si l’on regarde au niveau européen, le tarif moyen d’une consultation de médecine générale est compris entre 40 et 50 €. Avec une consultation plafonnée à 25 €, la France est l’Etat européen dans lequel la consultation coûte le moins cher et qui, de surcroît, taxe le plus.

Ce modèle économique de la consultation à 25 € fonctionne en réalité à bout de bras, avec des médecins libéraux qui consultent 4 à 5 patients par heure, travaillent en moyenne 58 heures hebdomadaires avec 2 ou 3 semaines de congés par an, le tout, sans secrétaire ou locaux neufs aux normes.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle plus personne ne souhaite faire de médecine générale libérale en France. En effet, seuls 6 % des médecins optent désormais pour l’exercice libéral en début de carrière ; ils étaient plus de 30 % il y a 20 ans. Ils ont tendance à se diriger vers le salariat, statut leur permettant d’accéder à une protection sociale plus complète.

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