AME : l’aide médicale de l’État de nouveau menacée

Alors que le Sénat vient d’approuver en commission des Finances la diminution du budget alloué à l’aide médicale de l’État (AME), le Haut Conseil de santé publique s’est quant à lui positionné en faveur de cet accès aux soins. Éclairage sur un dispositif sanitaire qui n’en finit pas de diviser la classe politique.
AME : de quoi parle-t-on ?
Créée en 1999 par le gouvernement Jospin (PS), l’AME est un dispositif sanitaire qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès gratuit aux soins. Si en 20 ans, l’AME a plus que triplé son budget et doublé le nombre de ses bénéficiaires, elle ne représente que 0,5 % des dépenses de santé en France.
AME : qui peut en bénéficier ?
Pour avoir droit à l’aide médicale de l’État, il faut :
- Résider en France depuis plus de 3 mois (hors Mayotte) ;
- Ne pas avoir de titre de séjour depuis plus de 3 mois ;
- Percevoir des ressources ne dépassant pas certains plafonds (pas plus de 10 116 € de revenus annuels pour une personne seule en métropole, soit moins de 843 euros par mois).
Les soins couverts par l’AME
L’AME donne droit à une prise en charge à 100% des soins médicaux et hospitaliers, sans avance de frais, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Les actes nécessaires à la réalisation d’une PMA et les cures thermales sont exclus du dispositif. Les frais médicaux liés aux médicaments à service médical rendu (SMR) faible, - comme par exemple l’Eludril ou le Spasfon – ne sont également pas pris en charge par l’AME.
Par ailleurs, la prise en charge de certains soins et traitements considérés comme non urgents, ne peut se faire qu’au bout d’un délai de 9 mois, après l’admission à l’AME. Parmi ces soins non-urgents, on trouve les interventions suivantes : libération de nerfs superficiels, interventions sur le cristallin, allogreffes de cornée, prothèses de genoux ou d’épaule, interventions pour obésité, rhinoplasties, interventions pour oreilles décollées, interventions sur la hanche et le fémur sauf traumatismes récents.
- Lire aussi : Comment obtenir une Aide médicale d’État (AME) ?
Depuis son entrée en vigueur, l’AME suscite de nombreux débats et voit régulièrement son existence menacée.
Qui veut la peau de l’AME ?
C’est un sujet récurrent à la table du débat politique : faut-il réformer voire supprimer l’aide médicale de l’État (AME) ? C’est en tout cas le souhait d’une partie de la droite et de l’extrême droite, qui voit dans ce dispositif un « appel d’air pour l’immigration clandestine » et une dépense dispensable pour notre système de santé. De l’autre côté du spectre politique, la gauche, les professionnels de santé et les associations défendent les vertus de l’aide médicale de l’État, en ce qu’elle constitue un « dispositif de santé publique ».
Remplacer l’AME par l’AMU : un projet de longue date
Le 7 novembre 2023, déjà, la droite sénatoriale était parvenue à faire voter un article supprimant l’AME pour la transformer en une « Aide médicale d’urgence » (AMU) aux contours drastiquement réduits. L’article avait finalement été retiré de la loi, mais le gouvernement de Gabriel Attal s’était engagé à se pencher sur une réforme du dispositif sanitaire, en confiant une mission d’évaluation à l’ancien ministre de la Santé Claude Evin (PS) et à l’ancien préfet Patrick Stefanini (LR). Paru en décembre 2023, leur rapport conclut que l’AME est un dispositif sanitaire « utile, maîtrisé pour l’essentiel, mais exposé à l’augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires ».
Fin 2023, 466 000 personnes étaient en effet bénéficiaires de l’AME, soit une progression de 39% par rapport à 2015. En revanche, selon une étude de l’IRDES publiée en 2019, seules 51% des personnes éligibles à l’AME en seraient réellement bénéficiaires. Selon le rapport Evin-Stefanini, cette étude ne semble donc pas « illustrer un effet ''aimant'' de l’AME mais révèle plutôt la complexité des situations et la diversité des contraintes (matérielles, sociales, culturelles…) qui freinent le recours à l’AME ».
Conformément à la lettre de mission, le rapport Evin-Stefanini proposait également des pistes de réforme de l’AME, s’articulant selon 4 grands axes :
- Compléter les mesures prises en matière de contrôles ;
- Réduire les ruptures de droits et améliorer l’inclusion dans les parcours de soins ;
- Renforcer la cohérence entre les politiques de l’État ;
- Renforcer le suivi des pathologies qui engagent la collectivité dans des soins chroniques et lourds.
Nouvelle tentative de la droite sénatoriale pour réduire la portée de l’AME
Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur en septembre dernier, Bruno Retailleau (LR) a fait savoir qu’il souhaitait s’attaquer à l’AME. Un souhait partagé par le Premier ministre Michel Barnier (LR), qui plaide pour une « maîtrise des dépenses de l’AME », appelant le Parlement à prendre « toutes les dispositions pour que ces dernières ne progressent plus ».
Une demande entendue par le Sénat, qui a approuvé une proposition du sénateur centriste Vincent Delahaye (UDI), rapporteur spécial des crédits de la Santé. Cette fois-ci, il n’est pas question de remplacer l’AME par l’AMU, mais d’élargir la liste des actes considérés comme non-urgents, non couverts par l’AME et de raboter son budget. Les deux amendements adoptés par la commission des finances du Sénat visent ainsi à réduire significativement la portée de l’aide médicale d’État (AME) :
- Le premier amendement impose que toutes les demandes de remboursement pour des soins non urgents soient soumises à un accord préalable des caisses primaires d’assurance maladie, quel que soit le temps écoulé depuis l’admission à l’AME. Actuellement, cette condition ne s’applique qu’aux bénéficiaires ayant rejoint le dispositif depuis moins de 9 mois, sauf si un renoncement à ces soins représente un risque grave pour leur état de santé.
- Le second amendement prévoit une réduction de 200 millions d’euros du budget 2025 de l’AME, passant de 1,3 milliard à 1,1 milliard d’euros. Cette baisse anticipe l’impact du premier amendement, qui limiterait le remboursement de certaines prestations.
À noter que ces propositions interviennent alors que le gouvernement avait initialement prévu une hausse du budget de l’AME pour 2025, en raison de l’augmentation du nombre de bénéficiaires. En 2024, ce dernier était de 1,2 milliard d’euros.
Ce dispositif sénatorial devra de nouveau être voté en séance publique en décembre, pour figurer dans le projet de loi de finances.
AME : un dispositif de santé publique utile à tous les citoyens
En parallèle, le Haut Conseil de la santé publique (HSCP), s’est fendu d’un communiqué pour rappeler les vertus de l’AME pour la santé publique de tous les citoyens. Chargée d’apporter une aide à la décision des pouvoirs publics, cette instance rappelle ainsi que :
- « Les bénéficiaires de l’AME sont à sur-risque d’être atteints de maladies infectieuses qui affectent d’abord leur santé, mais sont également susceptibles d’être transmises à la population générale si elles ne sont pas dépistées et traitées efficacement ». Aussi, faciliter l’accès aux soins des patients permet non seulement de les soigner conformément au devoir d’humanité mais également de protéger la collectivité de maladies telles que la tuberculose, le VIH-sida, les hépatites virales ou les IST.
- « Les bénéficiaires de l’AME sont plus exposés aux troubles psychiques en raison de leurs conditions de vie souvent difficiles et précaires, ainsi que des événements qu’ils ont pu vivre avant et pendant leur parcours migratoire voire parfois, de troubles liés à l’usage de substances. » Une prise en charge rapide et adaptée des psychotraumatismes est ainsi justifiée d’un point de vue de santé publique, pour limiter les décompensations psychologiques non médicalisées qui peuvent se solder par des drames.
Le Haut Conseil de la santé publique estime également que remettre en cause l’AME « induirait automatiquement un transfert d’activité et aussi un surcroît de charge financière sur le système hospitalier », déjà bien encombré. Faute de pouvoir se faire soigner en ville, les sans-papiers malades n’auraient en effet d’autre choix que de se tourner vers les services d’urgence, en tension depuis des années, exposant ainsi tous les usagers au risque de soins de moindre qualité.
Enfin, l’HCSP souligne que contraindre les soignants à renoncer à soigner est non seulement contraire au code de déontologie et à l’énoncé du serment d’Hippocrate, mais également « à haut-risque de majorer la souffrance au travail aujourd’hui exprimée par un nombre élevé de soignants de tous métiers ». Lorsque le Sénat avait adopté l’amendement visant à supprimer l’AME en 2023, 3500 médecins avaient d’ailleurs annoncé qu’ils continueraient à soigner gratuitement les malades sans papiers, dans une « déclaration de désobéissance ».
Compte-tenu des nouveaux équilibres politiques dans l’hémicycle, les amendements retenus par la commission des finances du Sénat ont toutes leurs chances d’être adoptés et conservés dans la version finale du texte. D’autant plus si le gouvernement recourt au 49.3 pour faire passer le budget. Affaire à suivre.